Aller au contenu

Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais elles gouvernent et contrôlent plus d’un domaine de la culture et forment la charpente dogmatique de la civilisation primitive.

C’est là peut-être le point le plus important de la thèse que je défends ici. J’affirme ainsi qu’il existe une catégorie spéciale d’histoires, considérées comme sacrées, objectivées dans le rituel, la morale et l’organisation sociale et formant partie intégrante et active de la culture primitive. Ces histoires ne servent pas à satisfaire la simple curiosité, soit comme récits imaginaires, soit comme relations d’événements réels : les indigènes y voient le reflet d’une réalité primitive, plus grande et plus importante, qui détermine la vie, le sort et les activités de l’humanité actuelle et dont la connaissance procure à l’homme les mobiles qui doivent le guider dans ses actes rituels et ses actions morales, ainsi que des indications sur la manière dont il a à s’acquitter des uns et des autres.

Afin de faire ressortir ce point avec toute la clarté désirable, nous confronterons une fois de plus nos conclusions avec les opinions courantes de l’anthropologie moderne, non pour le simple plaisir de critiquer celles-ci, mais pour montrer sur quels points nos résultats se rattachent à l’état actuel des connaissances, ce que nous devons exactement aux travaux qui ont précédé les nôtres et pour marquer les points précis sur lesquels commencent les divergences.

Nous ne saurions mieux faire que de citer une opinion condensée et compétente et nous choisissons à cet effet la définition et l’analyse données par la regrettée Miss C. S. Burne et par le professeur J. L. Myres dans Notes and Queries on Anthropology. Le chapitre intitulé Stories, Saying and Songs nous avertit qu’il traite des « efforts intellectuels de peuples » chez lesquels « on constate les premières tentatives d’exercer la raison, l’imagination et la mémoire ». Nous nous demandons avec une certaine appréhension ce que deviennent l’émotion, l’intérêt, l’ambition, le rôle social de ces histoires et les rapports intimes par lesquels les plus sérieuses d’entre elles se rattachent aux valeurs culturelles. Après une brève classification des histoires d’après les critères en usage, on lit au sujet des contes sacrés : « Les mythes sont des histoires qui, quelque merveilleuses et improbables qu’elles paraissent, n’en sont pas moins racontées en