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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/121

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En apprenant qu’en plus du principal lieu d’émergence, il existe dans le même village plusieurs autres « creux », l’Européen se sentirait tout à fait désorienté, jusqu’à ce qu’une étude attentive des détails concrets et des principes de la sociologie indigène lui permette de se faire une idée de ce que représente une communauté de village composée, c’est-à-dire une communauté née de l’émergence de plusieurs sous-clans.

Il est donc évident que le mythe présente pour l’indigène plus de signification qu’on ne pourrait le croire, si l’on se contentait de la lecture du seul texte de l’histoire ; que celle-ci ne fait ressortir que les différences locales et concrètes vraiment importantes ; qu’elle tire sa signification véritable du substratum traditionnel de l’organisation sociale et que les indigènes apprennent tout cela, non en écoutant des histoires mythologiques fragmentaires, mais en évoluant dans la structure sociale de leur tribu. En d’autres termes, ce qui révèle à l’indigène toute la signification et toute la portée des mythes sur l’origine, c’est leur contexte social, c’est le fait de se familiariser peu à peu avec l’idée que tout ce qu’on lui recommande ou ordonne de faire a ses antécédents et ses modèles dans le passé.

Un observateur est donc obligé d’acquérir une connaissance complète de l’organisation sociale des indigènes, s’il veut se faire une idée exacte de son aspect traditionnel. Il ne lui sera alors pas difficile de comprendre les brèves histoires dans le genre de celles qui se rapportent aux origines locales. Il se rendra compte en même temps que chacune de ces histoires n’est qu’un fragment, et un fragment plutôt insignifiant, d’une histoire beaucoup plus vaste qu’il ne peut apprendre qu’en observant la vie des indigènes. Ce qui importe réellement dans cette histoire, c’est sa fonction sociale. Elle exprime, en y insistant avec force, le fait fondamental de l’unité locale et de l’unité de sang du groupe d’individus ayant des ancêtres communs. Si l’on ajoute à cela que tout indigène est convaincu que seules la descendance commune et l’émergence simultanée du sous-sol assurent des droits sur le territoire qu’on occupe, on peut dire que l’histoire concernant les origines contient la charte légale de la communauté. C’est ainsi qu’alors même que les habitants d’une communauté vaincue sont emmenés de leur pays par un voisin