Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/122

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hostile, ils gardent toujours leurs droits sur leur territoire ; si bien qu’au bout d’un certain temps, après l’accomplissement de la cérémonie de la paix, ils sont autorisés à retourner chez eux, à reconstruire leurs villages et à se remettre à cultiver leurs jardins[1]. Le sentiment traditionnel d’un rapport réel et intime entre les hommes et leur pays ; le fait d’avoir toujours sous les yeux, au milieu de tous les événements de la vie journalière, l’endroit exact où ont émergé les ancêtres ; la continuité historique des privilèges, occupations et caractères distinctifs qu’on fait remonter aux commencements mythologiques des choses, constituent autant de facteurs qui contribuent à maintenir la cohésion, le patriotisme local, le sentiment d’union et de parenté dans la communauté. Mais bien que le récit relatif à l’émergence primitive porte à la fois sur les traditions historiques, les principes juridiques et les différentes coutumes, on ne doit pas oublier que le mythe original ne forme qu’une petite partie de tout l’ensemble d’idées traditionnelles. C’est ainsi que, d’une part, le mythe tire sa réalité de la fonction sociale qu’il remplit ; tandis que, d’autre part, dès que nous nous mettons à étudier la fonction sociale du mythe, pour le rétablir dans sa pleine signification, nous sommes amenés peu à peu à nous faire une image aussi complète et exacte que possible de l’organisation sociale des indigènes.

Un des phénomènes les plus intéressants, en matière de charte et de précédents traditionnels, consiste dans l’adaptation du mythe et du principe mythologique à des cas où la base même de cette mythologie se trouve gravement ébranlée. Tel est, par exemple, le cas où les revendications locales d’un clan autochtone, c’est-à-dire d’un clan ayant émergé sur le territoire même sur lequel il réside, sont étouffées par un clan immigré. Il se produit alors un conflit de principes, car il est évident que le principe d’après lequel la terre et l’autorité appartiennent à ceux qui sont nés dans le pays, au sens littéral du mot, est incompatible avec les prétentions de nouveaux arrivants. D’autre part, des autochtones d’un pays (et nous prenons le mot « autoch-

  1. Voir l’exposé de ces faits dans mon article : War and Weapons among the Trobriand Islanders, « Man », janv. 1918 ; et l’ouvrage du professeur Seligman : Melanesians, pp. 663-668.