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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/138

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sont considérés par la mythologie comme la source de toute sorcellerie. Ces êtres malfaisants ont leur demeure permanente dans le Sud. Ils se rendent, à l’occasion, aux îles Trobriand où, invisibles aux êtres humains ordinaires, ils se promènent la nuit à travers les villages en faisant résonner leurs gourdes en argile et leurs massues en bois. Dès qu’ils entendent ces bruits, les habitants sont pris de frayeur, car ceux que les sorciers frappent avec leurs armes de bois meurent, et leur invasion est toujours considérée comme un présage de morts en masse. C’est une maladie épidémique, appelée Leria, qui envahit alors le village. Les esprits malfaisants se transforment parfois en reptiles et deviennent alors visibles aux yeux humains. Il n’est pas facile de distinguer un tel reptile d’un reptile ordinaire, mais il importe de le faire, car un tauva’u, injurié ou maltraité, se venge par la mort.

Autour de ce mythe permanent, de ce récit domestique relatif à un événement, non situé dans le passé, mais se produisant tous les jours, se groupent d’innombrables histoires concrètes. Quelques-uns des faits racontés dans ces histoires se sont même produits pendant mon séjour aux îles Trobriand. Il y régnait une grave dysenterie, consécutive probablement à la grippe espagnole de 1918. Beaucoup d’indigènes prétendaient avoir entendu des tauva’u. On avait vu à Wavela un lézard géant ; l’homme qui le tua mourut aussitôt après, et l’épidémie éclata dans le village. Pendant que j’étais à Oburaku, l’épidémie sévissant dans le village, l’équipage du bateau qui me transportait disait avoir vu un tauva’u, sous la forme d’un grand serpent multicolore, perché sur un manguier, qui disparut mystérieusement à notre approche. Si je n’ai pas vu moi-même le miracle, ç’a été à cause de ma myopie ou parce que je ne savais pas comment il fallait regarder pour apercevoir un tauva’u. On peut obtenir une foule de ces histoires des indigènes de toutes les localités. On doit disposer un reptile de ce genre sur une plate-forme élevée et placer devant lui des objets précieux, et des indigènes m’ont assuré avoir vu procéder de la sorte, et cela plus d’une fois, bien que je n’en aie jamais été témoin moi-même. On prétend en outre que certaines sorcières ont entretenu des rapports avec des tauva’u, et on me l’a affirmé positivement au sujet d’une sorcière encore vivante.