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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/15

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PREMIÈRE PARTIE

LA LOI ET L’ORDRE
DANS LES SOCIÉTÉS PRIMITIVES

I

La soumission automatique à la coutume et le problème réel

Lorsqu’on en vient à se demander pourquoi le sauvage obéit à des règles de conduite souvent dures, fastidieuses et gênantes, quels sont les facteurs qui permettent aux événements de la vie privée et publique et à ceux qui se rattachent à la coopération économique de se dérouler facilement et sans heurts, bref quelles sont les forces qui assurent le règne de la loi et de l’ordre dans les sociétés sauvages, on est embarrassé pour trouver la réponse, et tout ce que l’anthropologie a cru pouvoir dire à ce sujet est loin d’être satisfaisant. Tant qu’on s’en tenait à l’affirmation que le « sauvage » est réellement sauvage, qu’il n’obéit aux rares lois qu’il possède que d’une façon irrégulière, très lâche, le problème ne se posait pas. Mais lorsqu’on crut s’apercevoir que c’était plutôt l’hypertrophie que l’absence de lois qui caractérisait la vie primitive, l’opinion scientifique adopta une attitude tout à fait opposée : non seulement le sauvage devint un modèle de citoyen, plein de déférence pour les lois de sa communauté et toujours prêt à leur obéir, mais on admit comme un axiome qu’en se soumettant à toutes les règles et entraves que lui impose la tribu, il ne fait qu’obéir à ses impulsions naturelles, qu’à suivre pour ainsi dire la ligne de moindre résistance.

Le sauvage — tel est le verdict d’anthropologistes compétents de nos jours — a une profonde vénération pour la tradition et