Aller au contenu

Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éloignés et chez des tribus étrangères et les observer pendant qu’ils se livrent à la pêche, au commerce, aux expéditions cérémonielles outre-mer. Ses informations doivent découler de ses observations directes de la vie indigène, et non être arrachées par bribes à des informateurs plus ou moins récalcitrants. Le travail de plein air, de première ou de seconde main, peut être accompli même parmi des sauvages vivant dans des habitations lacustres, non loin de tribus qui pratiquent encore le cannibalisme et la chasse aux têtes. L’anthropologie de plein air, qui n’a rien à voir avec la prise de notes d’après des récits de vive voix, est un travail dur, mais combien attachant ! Seule une anthropologie ainsi comprise est à même de nous donner une vue d’ensemble et à la fois adéquate de l’homme et de la culture primitifs. Elle nous montre qu’en ce qui concerne le mythe, loin d’être un vain jeu d’esprit, il constitue un élément vital des rapports pratiques qui existent entre l’homme et le milieu.

En formulant ce nouveau programme de travail anthropologique, je n’entends nullement m’en attribuer le mérite. Celui-ci, comme pour tant d’autres choses, revient à Sir James Frazer. Le Rameau d’Or contient la théorie de la fonction rituelle et sociologique du mythe, théorie à laquelle je n’ai pu apporter qu’une maigre contribution, en montrant, par une documentation de plein air, qu’elle répond à la réalité des faits. Cette théorie est impliquée dans les études auxquelles Frazer s’est livré sur la magie, ainsi que dans son exposé magistral de la grande importance des rites agricoles et dans la manière dont il a fait ressortir la place centrale des cultes de la végétation et de la fécondité dans ses ouvrages : Adonis, Attis, Osiris et Spirits of the Corn and of Wild. Dans ces ouvrages, comme dans beaucoup d’autres, Sir James Frazer a insisté sur les liens intimes qui existent, dans la vie primitive, entre la parole et l’acte ; il a montré que les paroles d’une histoire ou d’une incantation et les actes d’un rituel et d’une cérémonie ne sont que deux aspects de la croyance primitive. La profonde question philosophique, formulée par Faust, quant à la primauté de la parole ou de l’acte, nous apparaît oiseuse. Les débuts de l’homme coïncident avec les débuts de la pensée articulée et de la pensée traduite en action. Sans