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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/154

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d’ordre sociologique et de croyances magiques. Il n’est donc ni un simple récit, ni une tentative d’explication scientifique, sous la forme la plus primitive, ni une œuvre d’art ou un document historique. Il remplit une fonction sui generis, qui se rattache étroitement à la nature de la tradition, à la continuité de la culture, aux rapports entre la vieillesse et la jeunesse, à l’attitude humaine à l’égard du passé. Bref, la fonction du mythe consiste à renforcer la tradition, à lui conférer un prestige et une valeur plus grande, en la faisant remonter à une réalité initiale plus élevée, meilleure, d’un caractère plus surnaturel.

Le mythe constitue donc un ingrédient indispensable de toute civilisation. Il est, nous l’avons vu, en voie de régénération constante ; tout changement historique fait naître une nouvelle mythologie qui, toutefois, ne se rattache qu’indirectement au fait historique. Le mythe est un sous-produit constant d’une foi vivante, ayant besoin de miracles, d’un état sociologique qui a besoin de précédents et d’un code moral qui exige une sanction.

Notre tentative de donner une nouvelle définition du mythe est peut-être trop ambitieuse. Nos conclusions impliquent une nouvelle méthode pour l’étude du folk-lore, car nous avons montré l’impossibilité qu’il y a à séparer le mythe du rituel, de la sociologie, voire de la culture matérielle. Contes populaires, légendes et mythes doivent cesser de mener une existence plate sur le papier, pour être intégrés dans la réalité à trois dimensions de la vie pleine et entière. Pour ce qui est des recherches anthropologiques de plein air, nous préconisons une nouvelle méthode de réunion de matériaux. L’anthropologiste doit renoncer à sa confortable chaise-longue sur la vérandah d’une maison de missionnaires, d’une station gouvernementale ou d’un bungalow de planteur où, armé d’un crayon et d’un carnet et avalant de temps à autre des gorgées de whisky-and-soda, il interrogeait les informateurs, enregistrait des histoires et remplissait des feuilles de papier avec des textes de folk-lore sauvage. Il faut qu’il aille dans les villages, pour voir les indigènes travailler dans les jardins, sur la plage, dans la brousse ; il doit les accompagner vers des bancs de sable