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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/159

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LA CHASSE AUX ESPRITS
DANS LES MERS DU SUD

I

Ce fut par un après-midi clair, parfaitement calme, que j’entrevis pour la première fois le village d’Oburaku. Par l’entrée, ouverte vers l’Ouest, les rayons doux et chauds du soleil couchant se reflétaient sur les eaux, d’un vert de mousse, de la lagune. Tombant sur la plage, ils éclairaient la rangée de manguiers, jouaient sur ses feuilles brillantes, d’un vert métallique, donnaient à la vase, ordinairement sombre, qui recouvrait la plage, une coloration rouge pâle, imprimaient aux troncs gracieux des cocotiers des teintes douces et chaudes et illuminaient au-dessous de leurs cimes abondamment garnies le profond et mystérieux intérieur des bosquets.

Après avoir mis pied à terre, j’entrai dans le bosquet de palmiers et traversai le village, grand, mais dispersé, situé sur un tertre de corail et se composant de plusieurs groupes circulaires de maisons disséminées parmi les palmiers, les fruits à pain et les manguiers. J’étais impatient de trouver l’homme dont la rencontre avait été le seul et unique but de mon voyage. Sa cabane était située dans une clairière, en plein centre du village. L’emplacement de cette cabane suffisait déjà à faire ressortir son importance. Elle était insignifiante par elle-même, plutôt plus petite que les autres, sans sculptures ni ornements d’aucune sorte, sans rien qui pût avertir le non-initié qu’elle servait de demeure à l’homme peut-être le plus remarquable de tout l’archipel trobriandais. Cet homme savait ou devinait que c’était pour le rencontrer que j’avais fait tout ce chemin ; si bien qu’il était là, flânant devant sa porte, dans cette attitude détachée, calme et aisée, mélange d’assurance et de bonne éducation, que les Mélanésiens de marque adoptent en pareille