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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/164

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contre les morsures aiguës de la mousson. Ses gémissements perçants semblaient pleins de voix, de bruits étranges, presque humains dans leur insistance mélodieuse, et annonçaient une tempête. Tomwaya Lakwabulo tendit l’oreille et sembla entendre quelque chose qui échappait à notre ouïe. Il dit :

« Ce sont les enfants de Tuma. Ils flottent tout autour de nous ; ils veulent entrer dans une femme pour naître de nouveau. » Et il se mit à nous raconter des histoires sur la réincarnation des esprits. Tout homme, pendant son existence à Tuma, est capable de rajeunir de temps à autre, lorsqu’il sent peser sur lui le fardeau de l’âge. C’est pourquoi les hommes de là-bas restent toujours jeunes. À chaque instant l’esprit se dépouille de sa peau et apparaît en état de parfaite jeunesse. « Les esprits se rendent à une source appelée « Eau qui lave » ; elle se trouve sur la plage. Ils y lavent leur peau avec de l’eau saumâtre. Ils redeviennent jeunes. »

Parfois, cependant, l’esprit va plus loin encore et devient un être diminué, un enfant prêt à entrer dans le corps d’une femme pour renaître au bout d’un certain temps.

Ces petits enfants descendent dans la mer et flottent autour de Tuma. Le visionnaire ajouta : « À Tuma, la nuit, j’entends leurs gémissements. Je demande : « Qu’est-ce ? » — « Oh, ce sont des enfants. Le courant les entraîne, ils arrivent. » Ils ont peur de traverser la mer pour venir jusqu’à Boyowa (îles Trobriand). Alors une femme, une parente de l’esprit, le prend et vient ici avec lui ; elle dit à sa fille : « Je vous ai apporté un enfant, l’esprit d’un Tel, votre oncle maternel. Peu à peu vous le mettrez au monde, et il reviendra à la vie. »

« Certains petits êtres (wayawaya) semblent flotter ; ils restent dans l’eau longtemps, longtemps ; ils nagent et s’en vont loin dans la mer, au large. » C’est ainsi que nous étions souvent assis, en train de causer, attendant le moment où nous nous trouverions dans l’état d’esprit exigé par les circonstances et propre à l’inspiration.

Désirant être mieux renseigné sur les détails de ses voyages spirituels, je demandai :

« Quel chemin prenez-vous lorsque les esprits viennent frapper vos yeux ? »