Aller au contenu

Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alors, à ma grande stupéfaction, Tomwaya Lakwabulo se mit à parler à son tour. Il dit :

« C’est Moluvaboda, le vieux chef de notre village, qui me donna ce chant ; il habite dans un grand village à Tuma ; près du village se trouve une plage magnifique, appelée plage de Bomatu. Ici ils dansent tous les après-midi ; les esprits des hommes d’Oburaku dansent ici ; c’est leur plage. C’est Moluvaboda qui, le premier, a trouvé ce chant ; il l’apprit aux esprits ; il me le donna à moi. »

« À Tuma nous sommes tous semblables aux chefs ; nous sommes beaux ; nous avons de riches jardins où nous ne faisons rien ; ce sont les femmes qui font tout ; nous avons des tas de parures et beaucoup de femmes, toutes aimables. Notre peau est fraîche, toujours enduite d’huile de noix de coco, nous perdons nos cheveux gris, nous perdons notre peau ridée, nous avons de nouvelles dents dans la bouche. Nous sommes tous semblables aux chefs. Comme les chefs, avec leurs parures rouges en coquillages, nous dansons sur la plage de Bomatu ; nous dansons sur la plage de sable de Bomatu, pendant que la mer vient briser ses vagues contre le rocher dentelé. »

En écoutant Tomwaya Lakwabulo, je commençais à comprendre le secret de son succès. Il possède un talent de narrateur incontestable. Il est peut-être un charlatan, mais il possède la sincérité du vrai artiste, la conviction d’un homme qui a un message à faire connaître.

Dans des sentences brèves, prononcées sur un ton presque inspiré et faites d’expressions exaltées, il réussissait à évoquer devant son assistance une vision. Il semblait entraîné lui-même vers une autre réalité qu’il rendait palpable et visible à ses auditeurs. Il est possible que ce Mélanésien de génie ait eu une vague conscience de la réalité des désirs et espoirs humains, de cette réalité qui fait que la croyance à la vie future présente une identité si frappante dans le monde entier.

III

Un autre soir nous étions assis sur la plage, abrités par un gros rocher de corail, devant un feu, afin de nous protéger