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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/181

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pas, me dit-on. Ils aiment entendre Usikesa. Ils nous l’ont donné pour que nous le chantions. »

Les autres ayant commencé à chanter, Tomwaya Lakwabulo éleva sa voix et domina bientôt toutes les autres ; mais peu à peu sa voix changea et on aurait dit qu’elle avait été remplacée par une autre, puis par une troisième. En écoutant le chœur qui retentissait tout autour et le vent qui soufflait à travers les feuilles des palmiers, on avait l’impression que les voix dans la cabane se sont multipliées, qu’on entendait un mélange de voix et d’échos, qu’un chœur de l’intérieur répondait à celui du dehors. Les indigènes semblaient avoir noté ce fait, mais leur attention se trouvait de plus en plus tournée vers ce qui se passait dans la cabane.

— Entendez-vous les baloma chanter dans la maison ? C’est la voix de Narubuta’u dont l’esprit est assis sur les lèvres du veuf et chante.

L’excitation s’étant calmée pendant un instant, un homme se pencha, s’approcha de la porte dans une attitude accroupie, comme celle qu’on garde en présence des chefs. Il déposa un petit paquet de noix de bétel sur le seuil élevé de la cabane et dit d’une voix forte :

« Narubuta’u, tes noix de bétel. Mâche-les. »

C’était un don destiné aux esprits et il a été enlevé du seuil par la fille du visionnaire qui était restée à l’intérieur pendant la séance. D’autres hommes et des femmes survinrent, apportant qui un peu de tabac, qui quelques bananes ou deux ou trois noix de coco, chacun appelant l’esprit auquel le cadeau était destiné. Les groupes se rassirent ensuite autour du feu et causèrent pendant quelque temps ; après quoi le chant fut repris par le visionnaire et le chœur à la fois. Le feu dans la cabane s’éteignit presque complètement. Il était près de minuit lorsque, pendant une pause du chant, le médium prononça subitement, d’une voix claire, les paroles suivantes :

Toyodala, Kam bu’a (Toyodala, ceci est ta noix de bétel). Et, en effet, à la lumière du feu qui brûlait devant la cabane, nous pûmes voir un petit paquet de noix de bétel dorées déposé sur le lit opposé à celui sur lequel était couché le visionnaire. Il y eut un silence, suivi d’un chuchotement, et ensuite d’un