Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cabane était ouverte, et un petit feu brûlait près du lit sur lequel on ne distinguait que vaguement la forme du médium qui y était étendu.

Au bout de quelque temps il commença à remuer et à murmurer à voix basse. De temps à autre il esquissait un geste plus brusque ou prononçait une parole à voix haute. Les indigènes qui étaient autour de moi tendaient les oreilles, mais étaient loin de garder un silence respectueux. Nous dûmes attendre pas mal de temps, avant que le médium, qui devenait de plus en plus agité, se fût mis à chanter. Il était évident que cette fois il n’agissait pas en qualité de truchement « contrôlé », mais chantait de sa propre voix, d’une façon douce et mélodieuse. C’était le chant Usikesa, qu’il avait apporté de Tuma et dont les paroles étaient celles du langage ordinaire des vivants. De temps à autre il cessait de chanter et prononçait des sentences dans le langage des esprits. Pendant ces pauses, quelques-uns de l’assistance lui offraient des cadeaux dont la partie spirituelle était destinée aux amis et parents défunts. Le feu dans la cabane finit par s’éteindre, le visionnaire se tut et les gens se dispersèrent. Rien de bien remarquable n’arriva cette nuit-là.

IX

Le soir suivant une foule encore plus nombreuse s’était réunie, bien que le temps ait été orageux et frais. Les gens étaient assis autour de feux, et les groupes étaient plus animés. Le médium se mit à chanter d’une voix plus forte. Il était évidemment plus excité et plus inspiré que la nuit précédente. Il chantait, étendu sur sa couche, mais par ses gestes et ses mouvements il donnait l’impression d’exécuter une danse. S’il avait été endormi, on aurait pu croire qu’il rêvait d’une danse tribale à laquelle il prenait part. Sa manière de chanter était impressionnante, presque contagieuse, et au bout d’un certain temps ceux qui étaient réunis autour de la cabane se mirent, à leur tour, à chanter le célèbre chant Usikesa.

« Les baloma (esprits) ne viendront pas, si nous ne chantons