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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/21

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tant gens ou marchandises ou servant à l’un de leurs nombreux systèmes de pêche. Un coup d’œil superficiel sur ces occupations serait fait pour laisser une impression de désordre arbitraire, d’anarchie, d’absence totale de méthode et de système. Mais, si on se donne la Peine d’observer longtemps et patiemment, on ne tarde pas à constater que non seulement les indigènes possèdent des systèmes techniques très précis pour la pêche du poisson et des organisations économiques complexes, mais aussi que leurs équipes d’ouvriers sont englobées dans une organisation assez stricte, avec une division nette des fonctions sociales.

C’est ainsi qu’on constate que chaque canoé a son propriétaire légal, tous les autres formant l’équipage. Tous ces hommes qui font généralement partie du même sous-clan sont liés les uns aux autres et à tous les autres habitants du village par des obligations réciproques : lorsque toute la communauté s’en va à la pêche, le propriétaire ne peut pas refuser son canoé. Il doit accompagner les gens lui-même ou envoyer quelqu’un d’autre à sa place. L’équipage est également lié envers lui par certaines obligations. Pour des raisons qu’on comprendra tout à l’heure, à chaque homme sont assignées sa place et sa tâche. Chaque homme reçoit, en récompense de ses services, sa part proportionnelle du produit de la pêche. C’est ainsi que le propriétaire et les usagers du canoé sont liés par des obligations et des devoirs réciproques qui les unissent en une véritable équipe de travailleurs.

Ce qui complique encore la situation, c’est que les propriétaires et les membres de l’équipage sont libres de déléguer leurs droits et obligations à des parents ou à des amis. Cela se fait souvent, mais toujours soit par considération, soit contre une rémunération. Un observateur qui n’est pas au courant de tous ces détails et qui ne suit pas les péripéties de chaque transaction croirait facilement se trouver en présence d’un système communiste : le canoé lui apparaîtrait comme étant la propriété d’un groupe et comme pouvant être utilisé indistinctement par tous les membres de la communauté.

Le Dr Rivers raconte en effet que « le canoé est un des objets de la culture mélanésienne qui constitue généralement, sinon