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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/24

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d’un système de services et d’obligations réciproques, fondé sur une convention permanente entre deux communautés de villages. Les villages de l’intérieur fournissent les pêcheurs en légumes ; les communautés côtières les paient en poisson. C’est là une convention avant tout économique, mais elle a aussi un côté cérémoniel, car les échanges doivent se faire selon un rituel très compliqué, et un côté juridique, en ce qu’elle implique un système d’obligations réciproques, les pêcheurs devant rémunérer tout don qu’ils reçoivent de leurs partenaires de l’intérieur, et vice versa. Aucun des partenaires n’a le droit de refuser, de marchander, de retarder la réciprocité.

Qu’est-ce qui rend ces obligations si impérieuses ? Les villages de l’intérieur et ceux de la côte dépendent les uns des autres pour l’approvisionnement en certaines denrées. Les villages de la côte n’ont jamais assez de légumes, ceux de l’intérieur ont toujours besoin de poisson. En outre, la coutume exige que toutes les grandes cérémonies qui se déroulent dans les villages de la côte soient accompagnées de distributions de nourriture, qui représentent un aspect fort important de la vie publique des sauvages ; or, la nourriture ainsi distribuée se compose toujours de certaines variétés de légumes qui poussent seulement dans les plaines fertiles de l’intérieur. Or, les habitants de la côte ne disposent que du produit de leur pêche. C’est ainsi qu’à toutes les autres causes qui rehaussent la valeur de la nourriture végétale, relativement plus rare, s’ajoute celle de la dépendance artificielle que la culture a établie entre les deux districts. Tout concourt donc à ce qu’ils ne puissent se passer l’un de l’autre. Si, cependant, il arrive à un partenaire de faire preuve de négligence, il est sûr à l’avance qu’il aura tôt ou tard à s’en repentir. Chaque communauté possède, en effet, pour faire respecter ses droits, une arme : la réciprocité.

Ce que nous venons de dire ne s’applique pas seulement aux échanges de poissons contre des légumes. D’une façon générale, deux communautés dépendent aussi l’une de l’autre pour l’échange d’autres marchandises et d’autres services. C’est ainsi que chaque chaîne de réciprocité est d’autant plus forte qu’elle fait partie de tout un système, très compliqué, de réciprocités.