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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/33

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de manque de nourriture. » Au bout de quelques jours, le tas est défait, les yams sont mis dans des paniers et transportés dans le village habité par la sœur où on les dispose de nouveau en tas coniques devant la maison à yams du mari de celle-ci. Les membres de cette communauté viennent à leur tour regarder et admirer les yams. Tout ce côté cérémoniel de la transaction a une force liante que nous connaissons déjà. L’étalage, les comparaisons, la répartition faite en public constituent pour le donateur une contrainte psychologique : il se sent satisfait et récompensé, lorsqu’il se trouve à même d’offrir un don généreux, tandis que l’insuffisance, l’avarice, la mauvaise chance sont pour lui une cause de mortification et d’humiliation.

Cette transaction n’est pas seulement à base d’ambition et de vanité : la réciprocité y joue un rôle aussi important que dans toutes les autres. Par moments même, elle intervient à chacun des menus actes dont se compose la transaction, en la suivant pour ainsi dire pas à pas. Tout d’abord, le mari doit rémunérer par des dons périodiques définis chaque contribution annuelle qu’il reçoit de la famille de sa femme. Plus tard, les enfants, devenus grands, tomberont directement sous l’autorité de leur oncle maternel ; les garçons auront à l’aider, à l’assister dans tout ce qu’il fera, à contribuer pour une certaine part à tous les paiements dont il aura à s’acquitter. Les filles ne font que peu de choses pour leur oncle maternel, directement du moins, mais, dans une société de lignée maternelle, elles lui fournissent deux générations d’héritiers et de descendants.

En situant les offres de produits de la récolte dans leur contexte sociologique, et en examinant de près les rapports auxquels elles correspondent, on constate que chacune des transactions dont se composent ces rapports forme un anneau dans la chaîne des réciprocités. Mais si on la considère isolément, si on la retire de son cadre, chaque transaction apparaît dépourvue de sens, intolérablement pénible, sans aucune signification sociologique, donc (pas de doute !) de nature « communiste ». Quoi de plus absurde au point de vue économique que cette distribution croisée de produits de jardins qui fait que chaque homme tra-