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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/38

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démons, des esprits, de personnages mythiques, ils ont également leur côté légal qui apparaît clairement dans les pratiques mortuaires que nous avons décrites plus haut. Tout acte important de nature religieuse est conçu comme une obligation morale à l’endroit de l’objet du culte : démon, esprit, puissance ; il satisfait également le besoin émotionnel de celui qui l’accomplit. Mais, en plus de tout cela, il a sa place marquée dans un schéma social, est considéré par une tierce personne ou des tierces personnes comme leur étant dû, et ce dû elles le réclament et le rémunèrent ensuite, en nature ou autrement. Lorsque, par exemple, à l’époque du retour annuel des esprits des défunts dans leurs villages, vous faites une offrande à l’esprit d’un de vos parents, vous procurez une satisfaction à ses sentiments et aussi, sans doute, à son appétit spirituel qui se nourrit de la substance spirituelle du plat que vous offrez ; et ce faisant vous exprimez probablement vos propres sentiments à l’égard du cher défunt. Mais cet acte implique aussi une obligation sociale : après que les plats ont été exposés pendant quelque temps et que l’esprit a eu sa part spirituelle, les restes que la soustraction spirituelle n’a pas rendus moins propres à la consommation ordinaire sont donnés à un ami ou à un parent par alliance encore en vie qui, plus tard, s’acquitte, à titre de réciprocité, d’un don analogue[1]. Je ne connais pas un seul acte religieux qui ne présente ce côté sociologique, plus ou moins directement associé à sa fonction principale, et ajoutant à son caractère de devoir religieux celui d’obligation sociale.

Je pourrais passer en revue d’autres phases de la vie tribale et discuter plus en détail l’aspect légal des rapports domestiques dont j’ai cité quelques exemples plus haut ; ou bien je pourrais faire ressortir les réciprocités inhérentes aux grandes entreprises. Mais je crois en avoir assez dit pour convaincre le lecteur que les exemples cités précédemment, loin de constituer des cas isolés, expriment un état de choses sur lequel repose tout l’ensemble de la vie indigène.

  1. Voir notre description du Milamala, ou fête annuelle du retour des esprits, dans Baloma ; the Spirits of the Dead in the Trobriand Islands (« Journal of the R. Anthrop. Inst. », 1916). Les offres de nourriture sont décrites p. 378.