Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/43

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dements traditionnels, le désir de satisfaire l’opinion publique et l’attachement sentimental à la tradition, tout concourt à stimuler l’obéissance à la coutume comme telle et pour elle-même. En cela, les « sauvages » ne diffèrent pas des membres de n’importe quelle communauté fermée, à l’horizon limité, que ce soit un ghetto de l’Europe Orientale, ou un collège d’Oxford ou une communauté « fondamentaliste » du Middle West américain. Mais l’amour de la tradition, le conformisme, le pouvoir de la coutume n’expliquent qu’en partie l’obéissance aux règles dont font preuve les « dons » (seigneurs), les paysans, les sauvages ou les Junkers.

Pour nous en tenir une fois de plus strictement aux sauvages, nous dirons que chez les Trobriandais il existe un grand nombre de règles traditionnelles, destinées à apprendre à l’artisan l’exercice de son métier. La manière inerte et dépourvue de critique dont on obéit à ces règles est due à ce qu’on peut appeler le « conformisme général des sauvages ». Mais, pour l’essentiel, ces règles sont suivies, parce que leur utilité pratique a été reconnue par la raison et démontrée par l’expérience. De même, si l’on obéit aux injonctions relatives à la manière dont on doit se comporter dans l’association avec des amis, des parents, des supérieurs, des égaux, etc., c’est parce que toute dérogation à ces règles fait apparaître celui qui s’en rend coupable comme un homme ridicule, grossier, socialement singulier aux yeux des autres. C’est ainsi que les préceptes relatifs aux bonnes manières sont très développés en Mélanésie et très strictement suivis. À cela il faut ajouter les règles indiquant la manière dont on doit procéder dans les jeux, les sports, les amusements et les fêtes, règles qui sont l’âme même et la substance des jeux et amusements ou autres occupations du même genre, et qu’on suit, parce qu’on se rend compte et reconnaît que le moindre manquement dépouille le jeu de son caractère de jeu, à moins qu’on ne le prenne pas au sérieux. On notera que dans tout ceci il ne peut guère être question d’inclination ou d’intérêt personnel ou de force d’inertie susceptibles de s’opposer à une règle et de faire considérer son exécution comme une désagréable corvée. Il est tout aussi facile de suivre la règle que de ne pas la suivre, et une fois engagé dans une partie de sport ou de