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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/45

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giques, mais d’un mécanisme social défini, possédant un pouvoir de contrainte, reposant, ainsi que nous le savons déjà, sur le principe de la dépendance réciproque, stipulant l’équivalence des services réciproques et établissant entre les différentes réciprocités des rapports aux combinaisons multiples.

Nous pouvons donc écarter définitivement la conception d’après laquelle le « sentiment de groupe » ou la « responsabilité collective » serait la seule ou même la principale force qui assure l’adhésion à la coutume et la rend obligatoire ou sanctionnée par des lois. L’esprit de corps, la solidarité, l’orgueil de faire partie de sa communauté et de son clan, tout cela existe certainement chez les Mélanésiens, car aucun ordre social ne saurait se maintenir, à n’importe quel niveau culturel, sans ces stimulants. Je tiens seulement à mettre en garde contre des opinions aussi exagérées que celles de Rivers, de Hartland, de Durkheim et autres qui font de cette loyauté de groupe, désintéressée, impersonnelle et illimitée, la pierre angulaire de tout l’ordre social dans les civilisations primitives. Le sauvage n’est ni un extrême « collectiviste » ni un intransigeant « individualiste », mais, comme tous les hommes, il représente un mélange de l’un et l’autre.

Il résulte de tout ce que nous venons de dire que la législation primitive ne se compose pas uniquement ou principalement d’injonctions d’ordre négatif et que toutes les lois des sauvages ne sont pas des lois pénales. Et, cependant, on estime généralement qu’ayant décrit les prescriptions concernant le crime et le châtiment on a dit tout ce qu’il y avait à dire au sujet de la jurisprudence des peuples sauvages. Il est de fait que le dogme de l’obéissance automatique, c’est-à-dire de la rigidité absolue des règles de la coutume, implique une exagération du rôle que les lois criminelles jouent dans les communautés primitives et une négation du rôle des lois civiles. Des règles absolument rigides ne peuvent être élargies ou adaptées à la vie ; on n’a pas besoin de les imposer, mais elles peuvent être enfreintes. C’est là une vérité que même les partisans d’une super-légalité primitive ne peuvent se refuser à admettre. Le crime, nous dit-on, est le seul problème d’ordre juridique à étudier dans les sociétés primitives ; les sauvages ignorent les lois civiles,