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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/50

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d’autre loi que la coutume. Toujours d’après l’opinion courante, on obéit à la coutume automatiquement et rigidement, par simple inertie. Les seuls faits méritant d’être relevés seraient ceux des violations occasionnelles de la coutume, violations ayant la forme de défis et constituant ce qu’on appelle des crimes. Les sociétés primitives ne disposeraient pas d’autre mécanisme, pour imposer le respect des règles de conduite, que le châtiment des crimes flagrants. L’anthropologie moderne ignore donc et parfois nie explicitement l’existence de dispositifs spéciaux et de mobiles psychologiques, susceptibles d’inciter l’homme à obéir à une certaine catégorie de coutumes, pour des raisons purement sociales. D’après M. Hartland et les autres autorités en la matière, les sanctions religieuses, les châtiments surnaturels, la responsabilité de groupe et la solidarité, les tabous et la magie seraient les principaux éléments de la jurisprudence des peuples sauvages.

Toutes ces affirmations sont, je l’ai montré plus haut, ou tout simplement erronées ou partiellement vraies ; le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles situent la réalité de la vie indigène dans une fausse perspective. Il nous paraît inutile d’insister une fois de plus sur le fait que l’homme, même « sauvage » ou « primitif », est incapable d’agir instinctivement à l’encontre de ses instincts ou d’obéir à son insu à une règle à laquelle il se sentirait pourtant heureux de pouvoir se soustraire ou qu’il est toujours prêt à défier ; inutile également de montrer que l’homme est incapable d’agir spontanément d’une manière qui serait en opposition avec tous ses appétits et toutes ses inclinations. La fonction fondamentale de la loi consiste à imposer un frein à certains penchants naturels, à enfermer les instincts humains dans certaines limites, afin de pouvoir les contrôler, et à obliger les hommes à suivre une conduite n’ayant rien de spontané, une conduite contrainte ; en d’autres termes, sa fonction consiste à assurer une coopération reposant sur des concessions et des sacrifices mutuels, en vue d’un but commun. Pour que cette tâche se trouve remplie, une nouvelle force, distincte des dispositions innées et spontanées, doit intervenir.

Afin de rendre plus probantes nos objections, qui forment la partie négative de notre exposé, nous avons cité un cas concret