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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/56

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Par réaction à la méthode et aux principes que je viens d’exposer, j’ai essayé d’aborder les faits de la législation primitive des Trobriandais par un autre côté. J’ai commencé par la description de ce qui est ordinaire, et non singulier : de la loi obéie, et non de la loi violée, des courants permanents et journaliers de la vie sociale, et non de ses orages et tempêtes accidentels. De cette description il ressort, à mon avis, que, contrairement aux opinions les plus répandues, la législation civile (ou son équivalent primitif) est fort développée et régit tous les côtés de la vie sociale. J’ai montré également qu’elle est facile à distinguer et que les sauvages la distinguent effectivement d’autres normes, imposées par la morale ou les convenances, des règles que comportent les arts et métiers et des commandements de la religion. Leurs lois, loin d’être rigides, absolues ou imposées au nom d’une divinité, sont maintenues par des forces purement sociales, envisagées comme rationnelles et nécessaires, comme élastiques et susceptibles d’adaptation. Loin donc de s’adresser uniquement au groupe, les droits que la législation reconnaît et les devoirs qu’elle impose concernent avant tout l’individu qui sait parfaitement bien sauvegarder ses intérêts et se rendre compte de la nécessité qu’il y a pour lui de s’acquitter de ses obligations. Nous avons vu, en effet, que l’attitude de l’indigène à l’égard du devoir et du privilège ne diffère guère de celle qui existe dans les communautés civilisées, le sauvage sachant aussi bien que le civilisé, non seulement tourner la loi, mais aussi la violer de temps à autre. C’est cette question, dont on s’est encore peu occupé, qui va retenir notre attention dans ces chapitres. Ce serait donner un tableau plus qu’incomplet de la législation trobriandaise que de ne la présenter que sous l’aspect d’un système fonctionnant toujours d’une façon normale, sans le moindre trouble d’équilibre. J’ai déjà eu l’occasion d’attirer l’attention sur le fonctionnement souvent imparfait de la loi, sur les nombreuses entorses et violations qu’elle subit, mais une description complète des incidents criminels et dramatiques me paraît nécessaire, bien que, je l’ai

    au nom de la divinité, règle aussi bien la conduite à tenir dans les transactions commerciales que les rapports conjugaux les plus intimes et le cérémonial complexe et solennel du culte divin » (Primitive Law, p. 214). Les deux affirmations sont également erronées. Voir aussi les passages que nous avons cités dans la première partie de cet Essai, chapitres I et X.