Aller au contenu

Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit, il n’entre pas dans mes intentions d’attacher à ces incidents une importance exagérée.

Il y a encore une autre raison d’étudier de près la vie indigène à l’état de déséquilibre. Nous avons vu que les relations sociales des Trobriandais sont régies par un certain nombre de principes juridiques. Le plus important de ces principes est représenté par le droit maternel, qui stipule que la constitution physique et morale de l’enfant est déterminée par les liens de parenté qui le rattachent à sa mère, et à elle seule. Ce principe régit la succession dans le rang, le pouvoir et les dignités, les droits d’héritage économique, ceux qui règlent la possession du sol, la citoyenneté locale, l’appartenance à un clan totémique. Les rapports entre frères et sœurs, les relations entre les sexes et la plupart des relations sociales, d’ordre privé et public, sont régis par des dispositions faisant partie de la législation matriarcale. Une disposition bizarre et importante de cette législation est celle qui définit les devoirs économiques d’un homme à l’égard de sa sœur mariée et de son ménage. Tout le système repose sur une base mythologique, sur les conceptions des indigènes concernant la procréation, sur certaines de leurs croyances magiques et religieuses, et il détermine toutes les institutions et coutumes de la tribu.

Mais, à côté du système du droit maternel, à son ombre pour ainsi dire, il existe un autre système, moins important, de prescriptions légales. La législation relative au mariage, qui définit le statut du mari et de la femme, qui impose à celle-ci le régime patrilocal et confère au père une autorité partielle, mais certaine, et un droit de tutelle sur la femme et les enfants dans certaines occasions bien spécifiées, repose sur des principes juridiques indépendants du droit maternel sur certains points, le mitigeant sur certains autres, et en tout cas adaptés au droit maternel, de façon à pouvoir coexister avec lui. La constitution d’une communauté de village, la position d’un chef dans son village ou dans son district, les privilèges et les devoirs du magicien public, tout cela est régi par des dispositions qui forment autant de systèmes juridiques indépendants.

Sachant que la loi primitive n’est pas parfaite, nous sommes en droit de nous demander : comment cet ensemble composite de systèmes fonctionne-t-il sous la pression des circonstances ?