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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/58

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Chaque système possède-t-il une cohésion, une harmonie intérieure suffisantes ? Se maintient-il toujours dans ses limites ou a-t-il tendance à empiéter sur d’autres systèmes ? Si une tendance pareille existe, aboutit-elle à des conflits entre les systèmes et quelle est la nature de ces conflits ? Pour trouver des éléments de réponses à ces questions, nous devons une fois de plus prendre en considération les manifestations de criminalité, de désordre et de déloyauté qui se déroulent au sein de la communauté.

Dans l’exposé qui va suivre et que nous ferons d’une façon concrète, en entrant dans certains détails, nous aurons constamment présent à l’esprit le principal problème qui n’a toujours pas reçu une solution : celui de la nature des actes et de la procédure criminels et de leurs relations avec la législation civile ; celui des principaux facteurs qui interviennent dans le rétablissement de l’équilibre troublé ; celui des rapports et des conflits possibles entre les divers systèmes de législation indigène.

Pendant toute la durée de mes recherches sur le terrain, j’avais vécu au milieu même des indigènes ; ma tente était dressée en plein village, ce qui me permettait de suivre de près tous les événements, banals ou solennels, quotidiens ou dramatiques, qui s’y passaient. L’événement que je vais raconter s’est passé durant mon premier séjour aux îles Trobriand, quelques mois après le début de mes investigations de plein air dans l’archipel.

Un jour, un formidable bruit de lamentations et un violent branle-bas m’apprirent que quelqu’un venait de mourir dans le voisinage. Renseignements pris, il s’agissait d’un jeune homme que je connaissais, âgé d’environ 16 ans, qui était tombé du faîte d’un cocotier et s’était tué.

Je me rendis en toute hâte dans le village où l’événement s’était produit, et lorsque j’y arrivai je trouvai tout le monde occupé aux préparatifs funéraires. C’était la première fois que j’assistais à un décès, à un deuil et à des funérailles, si bien que mon intérêt pour les aspects ethnographiques du cérémonial me fit oublier les circonstances de la tragédie, et cela malgré deux ou trois cas singuliers qui s’étaient produits dans le même village et qui auraient dû éveiller mes soupçons. J’avais appris que, par une coïncidence mystérieuse, un autre jeune homme avait été blessé grièvement dans le même village, et pendant les funé-