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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/60

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axiome n’est pas tout à fait dépourvu de justification. Quand on interroge à ce sujet des Trobriandais, on constate que tous leurs renseignements confirment l’axiome que les indigènes éprouvent un sentiment d’horreur rien qu’à l’idée de la violation possible des règles de l’exogamie et qu’ils sont persuadés que celui qui se rend coupable d’inceste avec une femme appartenant au même clan que lui est frappé de plaies, de maladies ou même de mort. Tel est du moins l’idéal de la loi indigène, et dans les questions de morale il est facile et agréable de donner son adhésion à l’idéal, surtout lorsqu’il s’agit de juger la conduite des autres ou d’exprimer une opinion sur la conduite en général.

Mais la situation change, dès qu’il s’agit de l’application des normes morales et des idéaux à la vie réelle. Dans le cas que nous venons de relater les faits ne s’accordent pas du tout avec l’idéal de la conduite. L’opinion publique, quand elle eut connaissance du crime, ne se sentit nullement outragée et ne fit preuve d’aucune réaction directe : elle ne se mit en mouvement qu’à l’annonce publique du crime et à la suite des insultes que la partie intéressée lança contre le coupable. Mais, même alors, on laissa le coupable se punir lui-même. La « réaction de groupe » et la « sanction surnaturelle » se sont révélées comme des principes peu actifs. Ayant approfondi l’affaire et réuni des informations concrètes, j’ai pu m’assurer que la violation de l’exogamie, pour autant qu’il s’agit de simples rapports sexuels, et non de mariage, est loin d’être rare, et lorsque le fait se produit, l’opinion publique reste inerte, sans toutefois se départir de son hypocrisie. Lorsque l’affaire se passe sub rosa, avec l’observation d’un certain décorum, sans bruit et sans trouble, l’ « opinion publique » se contente de jaser, sans exiger un châtiment sévère. Lorsque au contraire les choses aboutissent à un scandale, tout le monde se dresse contre le couple coupable et peut pousser l’un ou l’autre, par l’ostracisme ou des insultes, au suicide.

En ce qui concerne la sanction surnaturelle, ce cas me permit de faire une découverte intéressante. J’ai appris notamment qu’il existe contre les conséquences pathologiques de cette transgression un remède fort connu et considéré comme pratiquement infaillible s’il est appliqué convenablement. Autrement dit, les indigènes possèdent un système de magie, se composant d’incan-