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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/69

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dont il dispose. Ce sont là des excès punissables, et c’est au chef qu’incombe le devoir de maintenir chacun dans sa médiocrité, d’empêcher les autres de dépasser le juste milieu qui leur est assigné par la tradition. Mais le chef ne peut pas user, dans ces matières, de violence physique directe, surtout lorsqu’il n’existe contre le délinquant que de simples soupçons, lorsqu’il ne se trahit que par une tendance au sujet de laquelle le doute est encore permis. Le moyen légal proprement dit dont le chef dispose dans des cas pareils consiste à recourir à la sorcellerie, dont il doit d’ailleurs payer les services de sa propre bourse. Avant l’intervention des « ordres » des blancs, il avait le droit d’user de violence et de châtier toutes les fois que se produisait une violation directe de l’étiquette ou du cérémonial ou dans les cas de délits flagrants tels qu’adultère avec une de ses femmes, atteinte à ses biens privés ou insulte personnelle. Un homme qui aurait osé se placer de façon à dépasser la tête du chef, ou toucher les parties taboues de son cou ou de ses épaules ou de se servir en sa présence d’expressions obscènes ou de commettre une grave violation de l’étiquette dans le genre de celle qui consiste à faire des allusions sexuelles au sujet de sa sœur, risquait de se faire transpercer immédiatement par un des gardes armés du chef. C’était tout particulièrement vrai du grand chef de Kiriwina. On connaît des cas d’hommes qui, ayant par hasard offensé un chef, ont été obligés de s’enfuir pour la vie. Un cas récent concerne un homme qui, au cours d’une guerre, avait lancé des injures à l’adresse du chef du camp opposé. Il a été tué après la conclusion de la paix, et sa mort, dans laquelle tout le monde a vu une juste rétribution de l’insulte, n’a provoqué aucune vendetta.

On le voit : dans beaucoup de cas, sinon dans la plupart d’entre eux, la magie noire est considérée comme le principal instrument dont dispose le chef pour faire prévaloir ses privilèges et prérogatives exclusifs. Il va sans dire que la magie noire se rend souvent coupable d’abus, allant jusqu’à exercer une odieuse oppression et à commettre des injustices révoltantes, ce dont je pourrais citer plus d’un exemple concret. Mais, même alors, étant donné qu’elle se range toujours du côté de ceux qui disposent de la richesse, de la puissance et de l’influence, la sorcellerie reste le support des intérêts acquis, c’est-à-dire, à la longue et en der-