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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/68

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(baloma), un esprit matériel (kousi) qui rôde autour de la tombe et se livre à toutes sortes de frasques[1]. Souvent aussi on trouve le corps d’un sorcier disloqué, mutilé dans la tombe.

J’ai obtenu cette liste en discutant avec des indigènes sur des cas concrets et en notant les symptômes réellement enregistrés. Il importe cependant de signaler que dans beaucoup de cas aucun symptôme n’a été constaté ou que l’accord n’a pu se faire au sujet de la signification de ceux que l’on a cru découvrir. Inutile de dire qu’un homme malade se doute toujours, croit même savoir à quel sorcier il est redevable de sa maladie, pour le compte de qui ce sorcier a agi et pour quelles raisons ; si bien que la « découverte » d’une marque a tous les caractères d’une vérification a posteriori de ce qu’on sait déjà. La liste que nous avons donnée plus haut et qui comprend les « causes de la mort », qu’on discute librement et qu’on trouve facilement, reçoit ainsi une signification spéciale : elle nous montre quelles sont les fautes qui ne sont pas considérées comme déshonorantes et répréhensibles et quelles sont celles qui n’imposent pas de charges trop onéreuses aux survivants. En fait, les succès sexuels, la beauté, l’adresse dans l’art de la danse, l’amour de la richesse, le manque de scrupules dans l’étalage des richesses et la jouissance inconsidérée des biens de ce monde sont autant de fautes ou de péchés enviables, quoique dangereux, puisqu’ils excitent la jalousie des puissants, tout en entourant ceux qui s’en rendent coupables d’une auréole de gloire. D’autre part, comme la plupart de ces fautes ont pour effet de provoquer l’exaspération du chef du district et de recevoir un châtiment légal, les survivants se trouvent déchargés du pénible devoir de la vendetta.

Mais le point vraiment important consiste en ce que le soin que les indigènes apportent à rechercher ces symptômes et à les interpréter témoigne de leur attitude négative à l’égard de tout homme dont la fortune, les qualités, les exploits personnels ou les vertus ne sont pas en rapport avec sa position sociale, ne trouvent pas leur justification dans le rang qu’il occupe, dans le pouvoir

  1. Cf. notre article : Baloma, dans « Journ. of the Royal Anthropol. Inst. », 1916. On y trouvera une description détaillée de la croyance en ces deux genres d’esprits. Je ne savais pas encore, à l’époque où j’écrivais cet article, que le kousi était particulier aux sorciers. Je l’ai appris plus tard, au cours de ma troisième expédition en Nouvelle-Guinée.