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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/71

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d’après l’étude de la sorcellerie, passons au suicide. Bien que n’étant d’aucune façon une institution purement juridique, le suicide présente par incidence un aspect légal très net. Il existe deux sérieuses méthodes de suicide : la première consiste à se jeter du haut d’un palmier (lo’u), la seconde à absorber un poison mortel extrait de la vésicule à fiel de l’orbe (soka). Une méthode moins radicale consiste à absorber une dose de tuva, poison végétal dont on se sert pour abasourdir les poissons. Un bonne dose d’émétique suffit à rappeler à la vie celui qui avait absorbé du tuva ; aussi ce poison joue-t-il un grand rôle dans les querelles entre amoureux, dans les discordes conjugales et autres cas analogues, dont plusieurs sont survenus durant mon séjour aux îles Trobriand, sans issue fatale.

Les deux formes fatales de suicide sont employées comme moyens d’échapper à des situations sans issue ; elles reposent sur une attitude psychologique complexe, dans laquelle entrent à la fois le désir de s’infliger soi-même un châtiment, celui de se venger et de se réhabiliter, de se soustraire à une douleur morale. Quelques cas concrets, brièvement résumés, donneront une idée suffisante de la psychologie du suicide.

Un cas quelque peu analogue à celui de Kima’i, décrit plus haut, fut celui d’une jeune fille, nommée Bomawaku, qui entretenait une intrigue amoureuse avec un jeune homme du même clan qu’elle, sans prêter aucune attention à son adorateur officiel et acceptable. Elle habitait sa bukumatula (maison pour gens non mariés), que son père avait construite pour son usage, et y recevait son amoureux illégitime. L’adorateur officiel, l’ayant appris, l’insulta en public, à la suite de quoi elle revêtit ses habits et ornements de fête, grimpa sur un palmier et, après avoir poussé un cri perçant, se précipita en bas. C’est là une vieille histoire ; elle m’a été racontée par des témoins oculaires, qui s’en sont souvenu à la suite de l’événement de Kima’i. Cette jeune fille avait cherché à sortir d’une impasse intolérable dans laquelle l’avaient acculée sa passion et les prohibitions traditionnelles. Mais ce fut l’insulte qui fut la cause immédiate et réelle du suicide. Sans elle, le conflit plus profond, mais moins poignant, entre l’amour et le tabou, ne l’aurait jamais poussée à cet acte désespéré.

Mwakenuva, de Liluta, homme de rang élevé, possédant un