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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/72

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grand pouvoir magique, personnalité hors pair, dont la renommée s’est perpétuée jusqu’à nos jours, à travers deux générations, était très attaché à une de ses femmes, Isowa’i. Il avait cependant avec elle de fréquentes discussions, et un jour, au cours d’une discussion plus violente que les autres, il lui lança une de ces insultes (kwoy lumuta) qui, de mari à femme, sont considérées comme intolérables[1]. Isowa’i réagit conformément à l’idée traditionnelle de l’honneur et se suicida immédiatement en se précipitant d’un palmier (lo’u). Le lendemain, alors que les lamentations provoquées par la mort d’Isowa’i se faisaient de plus en plus fortes, Mwakenuwa se suicida à son tour et son corps fut placé à côté de celui de sa femme, pour qu’ils soient pleurés ensemble. Dans ce cas nous sommes en présence d’une affaire passionnelle, plutôt que légale. Mais il montre fort bien à quel point le sentiment de l’honneur traditionnel est sensible à tout excès, à tout écart de la modération et du calme. Il montre également à quel point un survivant peut être frappé par le sort d’une personne qui s’est infligée elle-même la mort.

Un cas analogue s’est produit il y a peu de temps : un mari ayant reproché à sa femme d’avoir commis un adultère, celle-ci se tua en se jetant d’un palmier, après quoi le mari suivit son exemple. Un autre événement, encore plus récent, est celui du suicide d’Isakapu, de Sinaketa, qui absorba du poison, à la suite du reproche d’adultère que lui avait adressé son mari. Bogonela, une des femmes du chef Kouta’uya, de Sinaketa, ayant été accusée par une autre femme de ce chef de s’être mal conduite pendant l’absence de celui-ci, se suicida immédiatement. Il y a quelques années, un homme de Sinaketa, harcelé par sa femme qui l’accusait d’adultère et d’autres fautes, se suicida en absorbant du poison.

Bolubese, femme d’un des anciens principaux chefs de Kiriwina, quitta son mari et se réfugia dans son propre village ; ses parents (oncle maternel et frères) l’ayant menacée de la renvoyer de force, elle se suicida par le lo’u. J’ai eu connaissance de plusieurs cas semblables, attestant les tensions qui peuvent exister entre mari et femme, entre amants ou entre parents.

  1. On trouvera une description et une analyse des insultes et des expressions obscènes dans La Sexualité et sa répression.