Aller au contenu

Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ble. Au début, il ne voulait même pas leur adresser la parole. Pendant un an ou plus, aucun d’eux n’osa lui demander de l’emmener dans une expédition maritime, malgré qu’ils eussent tous les droits à ce privilège. Deux ans plus tard, en 1917, lorsque je retournai aux îles Trobriand, Namwana Guya’u résidait toujours dans l’autre village, à l’écart des parents de son père, bien que venant souvent en visite à Omarakana, pour assister son père, surtout lorsque To’uluwa devait s’absenter. La mère mourut un an après l’expulsion : « Elle pleurait, pleurait, refusait de manger et mourut », racontèrent les indigènes. Les relations entre les deux principaux ennemis étaient complètement rompues, et Mitakata, le jeune chef qui avait été emprisonné, renvoya sa femme qui faisait partie du même sous-clan que Namwana Guya’u. Ce fut une profonde brisure dans la vie sociale de Kiriwina.

Cet incident fut l’un des événements les plus dramatiques auxquels il m’ait été donné d’assister aux îles Trobriand. Je l’ai décrit longuement, parce qu’il constitue une excellente illustration du droit maternel, de la force de la loi tribale et des passions qui se manifestent en opposition avec elle.

Bien qu’exceptionnellement dramatique et éloquent, ce cas ne constitue cependant pas une anomalie. Dans chaque village où il y un chef de haut rang, un notable influent ou un sorcier puissant, les fils sont favorisés et dotés de privilèges qui, en stricte justice, ne leur appartiennent pas. Très souvent les choses se passent sans provoquer des antagonismes dans la communauté, surtout lorsque le fils et le neveu sont gens modérés et bien élevés. Kayla’i, fils de M’tabalu, le chef du rang le plus élevé de Kasanai, récemment décédé, vit dans le village de son père, s’acquitte de la plus grande partie de la magie communale et entretient les meilleures relations avec le successeur de son père. Dans l’agglomération de villages de Sinaketa, où résident plusieurs chefs de haut rang, quelques-uns des fils favoris sont en relations d’amitié avec les successeurs légaux, d’autres observent à leur égard une attitude d’hostilité non dissimulée.

À Katavaria, village proche du siège de la Mission et du poste gouvernemental, le fils du dernier chef, un certain Dayboya, a complètement éliminé les maîtres légitimes, avec la complicité,