Aller au contenu

Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

kana, tu mangeais de notre nourriture, tu avais ta part des porcs, qui nous sont apportés en tribut, et des poissons. Tu naviguais dans nos canoés. Tu as bâti une hutte sur notre sol. Et maintenant tu nous fais du mal. Tu as raconté des mensonges. Nous ne voulons plus que tu restes ici. Ceci est notre village ! Tu es un étranger ici. Va-t’en ! Nous te chassons ! Nous te chassons d’Omarakana ! »

Ces paroles furent prononcées d’une voix forte et perçante, tremblante d’une violente émotion, chaque phrase lancée, après une pause, comme une flèche à travers l’espace dans la direction de la hutte où Namwana Guya’u était assis, plongé dans de sombres méditations. Après Bagido’u, ce fut la plus jeune sœur de Mitakata qui se leva et parla à son tour, et après elle ce fut un jeune homme, un des neveux maternels, qui lança à peu près les mêmes paroles de colère, en insistant sur la formule du yoba, dont on se sert pour chasser quelqu’un. Rien ne bougeait dans le village. Mais, sans attendre le jour, Namwana Guya’u quitta Omarakana pour toujours. Il se rendit dans son propre village, Osapola, celui d’où sa mère était originaire et qui était distant de quelques milles d’Omarakana. Pendant des semaines sa mère et sa sœur firent entendre des plaintes déchirantes, comme si elles avaient pleuré un mort. Le chef garda la hutte pendant trois jours, et lorsqu’il en sortit, il paraissait vieilli et brisé par la douleur. Certes, tout son intérêt et toute son affection étaient pour son fils favori. Mais il ne pouvait rien en sa faveur. Les parents agirent d’une façon tout à fait conforme à leurs droits et, d’après la loi tribale, il ne pouvait les désavouer. Il n’y avait pas de pouvoir capable de changer quoi que ce fût au décret d’exil. Une fois que le bukula et le kayabaim ont été prononcés, celui qui en est l’objet doit s’en aller. Ces paroles, qu’on prononce rarement dans une intention sérieuse, ont une force obligatoire et un pouvoir presque rituel, lorsqu’elles sont prononcées par un citoyen du pays contre un étranger résidant. Celui qui braverait la terrible insulte impliquée dans ces paroles et resterait malgré tout, se déshonorerait pour toujours. En fait, un Trobriandais n’admet pas qu’une exigence rituelle ne reçoive pas une satisfaction immédiate.

Le ressentiment du chef contre ses parents fut profond et dura-