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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/89

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des autres, il réserve tout cela pour sa conduite dans la vie réelle. Et, même alors, il ne consentira jamais à avouer ouvertement, aussi bien aux autres qu’à lui-même, qu’il n’agit pas conformément à la loi, qu’il reste au-dessous de ses exigences.

L’autre aspect, l’aspect naturel, les évasions, les compromis, les usages non légaux ne se révèlent qu’à l’anthropologiste de plein air qui observe directement la vie indigène, en enregistre soigneusement les faits, vit avec ses « matériaux » dans une intimité suffisante pour comprendre non seulement le langage des indigènes et leurs affirmations explicites, mais aussi les mobiles cachés de leur conduite, leurs impulsions spontanées, jamais ou presque jamais formulées. L’anthropologie qui se contente d’enregistrer uniquement ce qu’elle entend raconter se condamne à ignorer l’envers de la législation sauvage. Il n’est pas exagéré de dire que cet envers existe et est toléré aussi longtemps qu’il n’est pas franchement étalé, verbalement exprimé, ouvertement formulé, auquel cas il déclenche une opposition. Nous avons peut-être là l’explication de la vieille théorie du « sauvage déchaîné », ignorant toute coutume et d’un comportement bestial. C’est que les auteurs qui nous ont donné cette version de toutes les complications et irrégularités de la conduite des sauvages, savaient que cette conduite était loin d’être conforme à la loi stricte, mais ignoraient la structure de la doctrine légale des indigènes. Le travaille de plein air de nos jours, reconstitue cette doctrine d’après les renseignements qui lui sont fournis par ses informateurs indigènes, mais il reste dans l’ignorance des accrocs que la nature humaine inflige à ce programme théorique. Aussi a-t-il fait du sauvage un modèle de légalité, d’obéissance spontanée à la loi. La vérité ne peut être obtenue que d’une combinaison de ces deux versions, et une fois obtenue elle nous montre que l’une et l’autre, prises isolément, ne sont que des fictions, des simplifications futiles d’un état de choses extrêmement compliqué.

Comme toute autre manifestation de la culture humaine, celle dont nous nous occupons ici apparaît non comme un schéma d’une consistance et d’une cohésion logiques, mais comme un mélange de plusieurs principes opposés. L’opposition la plus importante est celle qui existe entre la filiation maternelle et