Page:Malleson - Histoire des Français dans l’Inde.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
ÉLÉVATION DU POUVOIR FRANÇAIS DANS L’INDE

La Bourdonnais sut agir : tout navire, et, malgré les croiseurs anglais, il en arrivait encore, tout navire qui touchait à l’Île de France et lui semblait pouvoir être utilisé, était retenu par lui en imposant silence aux capitaines et aux intéressés. Malheureusement, une autre calamité, la disette, était venue s’ajouter à tant d’autres, les récoltes avaient été entièrement perdues et les îles étaient hors d’état de subvenir à la subsistance des équipages. Un bâtiment, venant de France avec un chargement de vivres, le Saint-Géran, avait coulé en entrant dans le port. La disette était devenue telle, que le Conseil local avait dû réduire chaque Européen ou homme libre à la ration quotidienne d’une livre de pain ou de riz, et chaque nègre à celle de une livre et demie de riz. D’un autre côté, tout manquait : les fournitures nécessaires à l’équipement des navires, les charpentiers, les ingénieurs, les serruriers et les voiliers pour les mettre en œuvre, les marins pour les manœuvrer, les soldats enfin qu’on devait transporter. La Bourdonnais résolut de créer ce qu’il n’avait pas. Il se fit charpentier, ingénieur, voilier, et, de ses propres mains, fabriqua les modèles de tous les objets nécessaires. Sous sa surveillance personnelle, des hommes apprirent à tailler et à confectionner les voiles, d’autres devenant charpentiers s’occupèrent à fabriquer des affûts pour les canons, et à mettre les navires en état de les recevoir. Les uns préparaient les matériaux pour la construction, d’autres les assemblaient ; les marins furent exercés au travail en commun, au service des pièces, à l’escalade, au tir à la cible, au jet du grappin. Trouvant leur nombre insuffisant, il recruta un certain nombre de nègres et les incorpora dans les compagnies. Ce fut ainsi que, par un travail extraordinaire, La Bourdonnais se trouva bientôt à la tête d’un corps assez considérable, formé d’hommes suffisamment exercés, bien disciplinés, et prêts à entreprendre tout ce qu’il leur commanderait.

Il déploya la même activité, le même génie inventif pour se procurer les vivres nécessaires. Déjà, il avait presque complètement équipé cinq navires y compris le bâtiment de vingt-six canons porteur de la dépêche de Dupleix, lorsqu’il reçut de France la bonne nouvelle de l’envoi de cinq vaisseaux partis de Lorient, et qui devaient lui arriver au mois d’octobre de cette même année 1745.