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PREMIÈRE LUTTE DANS LE CARNATE

Madras, acquis avec tant d’audace, conservé par tant de vigilance et malgré une si grande jalousie. Avec quelle amère douleur le Gouverneur ne dut-il pas recevoir l’ordre de faire une restitution qui ne pouvait manquer d’être le premier pas pour créer à ses rivaux détestés, la base nouvelle d’un pouvoir grandement accru. Combien il dut déplorer l’aveuglement des ministres qui, ne possédant pas son vaste coup d’œil, pouvaient regarder le cap Breton comme la compensation suffisante d’une place qui, restée aux Français en 1749, leur aurait assurément donné, comme nous le verrons plus tard, une incontestable supériorité, et les aurait conduits à l’empire. Mais Dupleix devait obéir et non faire des remontrances. Les ordres reçus étaient sans appel ; et pour s’y conformer il dut, vers la fin du mois d’août, remettre Madras à l’amiral Boscawen. Ce qui ajoutait encore à ses regrets, c’était de le rendre, non plus dans l’état où il l’avait reçu, mais amélioré de toutes façons, muni de fortifications nouvelles et solides, débarrassé de tout ce qui l’obstruait et, sous tous les rapports, en voie, de devenir digne des grandes destinées qu’il se complaisait à lui préparer.

Ainsi, après une lutte de cinq années, les deux nations se rétrouvaient dans la position qu’elles occupaient lors de la rupture de la paix. Telle était du moins l’apparence ; mais combien la réalité était différente ! La rivalité vindicative qui s’était affirmée dans la lutte de Madras et dans les tentatives sur le fort Saint-David et sur Pondichéry avaient créé les germes d’une inimitié éternelle, inimitié qui ne pourrait s’éteindre que par la destruction de l’un des adversaires. D’un autre côté, la supériorité des Européens sur les indigènes, prouvée dans la bataille décisive de Saint-Thomé, avait fait naître, surtout chez son chef, une soif de pouvoir qui, d’abord vague et indécise, prenait chaque jour plus de corps. Puis les dépenses que causaient aux deux nations l’entretien et la solde des troupes venues successivement d’Europe pesaient lourdement sur les ressources des colonies et les plaçaient, pour ainsi dire, dans la nécessité de mettre leurs forces au service des divers compétiteur qui se disputaient la puissance. Ainsi, dans le cours des années 1745 à 1749, les rôles avaient été complètement intervertis. Les