Page:Malleson - Histoire des Français dans l’Inde.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
LA COMPAGNIE PERPÉTUELLE DES INDES

francs. On arrêta d’abord de les offrir au public à ce cours. Subséquemment, on résolut de les vendre par séries aux enchères devant la porte du magnifique palais que la Compagnie venait d’acheter au coin de la rue Vivienne. Là et dans les rues avoisinantes, une foule compacte se tenait, même pendant de longues nuits, oubliant le froid, la faim, la soif ; chacun muni de son lourd sac d’argent ou de son portefeuille bien garni, s’inquiétait uniquement de conquérir une bonne place d’où il pût mettre des enchères. La Compagnie ne réalisa pas moins de mille pour cent de bénéfice sur la valeur nominale des trois cent vingt-quatre mille nouvelles actions. Dans leur compte-rendu de novembre, les Directeurs déclarèrent qu’ayant émis 624,000 actions pour la somme de 312,000,000, dont ils étaient responsables, ils les avaient vendues 1,797,500,000 francs, ce qui donnait l’énorme bénéfice de 1,485,500,000 francs ! Malheureusement, une faible partie seulement fut réalisée.

Il est impossible de décrire l’empressement et l’avidité avec lesquels le public entrait dans cette lutte pour la fortune. Des hommes, naguère mendiants, devinrent subitement riches au delà de toutes prévisions. Un savetier gagna pendant quelque temps deux cents francs par jour, en établissant une boutique où il vendait du papier et de l’encre pour les calculs des spéculateurs. Des hommes faisaient métier de prêter leur dos pour servir de pupitres, et gagnaient ainsi des sommes relativement considérables. Le duc de Bourbon réalisa par ses spéculations vingt millions de francs, le duc d’Antin douze, et ces exemples n’étaient pas rares. Le luxe s’accrut en proportion de cette richesse. Des meubles, des voitures, des articles de toilette furent payés des prix inouïs ; on aurait cru vivre dans l’âge d’or. Toutefois, les plus grands bénéfices furent réalisés par ceux qui étaient dans la confidence de Law. Obtenir son amitié ou seulement taire sa connaissance était le but de l’ambition de tous. Les princesses disputaient aux duchesses l’honneur d’une introduction auprès de ce dispensateur de la fortune[1], et quand cela était impossible, elles n’hésitaient pas à recourir à toutes

  1. La duchesse douairière d’Orléans écrivait : « Law est tellement entouré, qu’il n’a de repos ni le jour ni la nuit. Une duchesse a devant tout le monde baisé sa main ; si une duchesse agit ainsi, que feront les autres femmes ? »