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Page:Mandat-Grancey Chicago 1898.djvu/27

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beaucoup de points, par le creusement de nombreux canaux. Les usines, les élévateurs se sont construits sur ces quais, dont la longueur totale est de plus de cinquante kilomètres. Tout est si admirablement disposé, qu’en quelques heures un navire peut repartir après avoir été déchargé et rechargé. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le commerce maritime ait pris une énorme importance.

Le littoral des lacs a toujours suffi pour fournir à ces navires un fret abondant. Les forêts du Canada, du Michigan et du Wisconsin envoient leurs bois. La partie nord de la Pensylvanie, qui touche au lac Érié, contient une énorme quantité de charbon, et les cargaisons qui viennent s’empiler sur les quais de Chicago fournissent aux fonderies récemment fondées un combustible si abondant et si économique, qu’elles rivalisent avec celles de Pittsburgh pour la production du fer et de l’acier.

En attendant le dîner, nous allons nous promener dans le Lake-Park, tout près de l’exposition, sur les bords du lac. Ce qu’on appelle le Lake-Park est une grande place, bordée de magnifiques maisons, mais couverte de décombres et d’immondices. De plus, elle est sillonnée par les trois ou quatre voies du Baltimore and Ohio Railroad, que les trains parcourent à chaque instant à toute vitesse. Il n’y a, bien entendu, aucune barrière.

Quelques nivellements, des plantations et des gazons en feraient une admirable promenade. On n’y a apparemment pas songé. Le quai en bois est dans un tel état de délabrement, que nous sommes obligés, par moments, de faire une vraie gymnastique pour sauter de madrier en madrier, en évitant les grands trous où de gros rats courent sur les piles effondrées. Une centaine de pêcheurs à la ligne sont assis, surveillant silencieusement leurs bouchons. Au milieu de l’agitation générale, leurs figures calmes et reposées font plaisir à voir : d’autant plus qu’elles s’illuminent de temps en temps d’un éclair de bonheur ; car, à chaque instant, ils relèvent de belles perches toutes brillantes, aux nageoires rouge sang, qu’ils jettent dans un filet plongé dans l’eau à leurs pieds. Il paraît que, pour prendre des truites, il faut aller un peu au large. Il y a là une trentaine de petits cotres à la disposition des nombreux amateurs.

La journée avait été chaude ; le soleil descendait vers l’ouest ; le Michigan roulait devant nous ses lames grises à reflets bleus qui venaient se briser doucement à nos pieds en se frangeant d’écume ; à l’horizon, on voyait les grandes goélettes se penchant à la brise sous leurs voiles blanches ; et puis de l’autre côté s’élevait la grande ville fiévreuse, avec ses hautes cheminées, ses immenses, maisons, les locomotives qui passaient en sifflant ; toute une rumeur d’un travail acharné qui arrivait jusqu’à nous. Une foule encombrait maintenant la place, venant respirer la fraîcheur du soir : nous regardions tous ces hommes, maigres, les joues creuses,