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Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/43

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ment intensément — ce sensuel raffiné, un peu morbide — de ma déception ahurie, suspendue bord du désir, et de ma honte désorientée… Ah ! voilà bien le danger d’aimer un homme trop âgé dont l’âme blasée, la chair fatiguée, tentent toujours d’éprouver « autre chose », de réveiller leur rivalité au piment d’une sensation rare… Est-ce qu’un jeune homme aurait de ces idées-là !

Impatientée, je cours au bout de la clairière : ici, le sol descend en pente traîtresse, semé d’un tapis glissant d’aiguilles de pins. Je dis à Jean : « Quand j’étais petite, je m’y prenais comme ceci pour ne pas trébucher. »

Je ne sais quelle astuce m’inspire à ce moment : je me connais un corps souple et flexible que le mouvement met en valeur ; et, sous le couvert d’une espièglerie puérile, je m’assieds par terre, je saisis ma jupe à deux mains, et me laisse dévaler jusqu’en bas, dans une dégringolade accélérée peu à peu. Je me sens griffée au passage par des épines et des herbes qui fleurent bon. J’arrive au but toute rose de ma chute, et je me retourne, rieuse et animée.

Jean me rejoint, ralentissant le pas, se raccrochant adroitement aux branches résineuses. Il se tient debout, devant moi, et dit tout à coup : « Vous ne portez donc pas de corset ? »

— Pour justifier le dicton : dix-huit ans et pas de corset.

Il me détaille avec persistance : ça m’est égal, je me sens jolie à cette minute. Il s’agenouille, et me reproche, grondeur :

— Quelle bêtise de se rouler par terre quand on a une robe de velours. Vous voilà couverte d’aiguilles de pins : c’est stupide… Il est difficile de retirer ces petites pointes d’une étoffe peluchée ! Et vous serez propre pour rentrer en ville.

Ses doigts pincent ma jupe, détachant les épines une à une, s’appuient à la taille, s’attardent au corsage… Le cœur chaviré, frissonnante, je m’exacerbe toute vibrante, sous la caresse énervante de ses gestes trop lents qui m’effleurent à peine, et si savamment… Mais, l’imprévu surprise d’un contact plus précis me dresse, révoltée. Alors Jean m’étreint brutalement de deux bras fougueux, m’étouffe, me brise, et me meurtrit délicieusement, enserrant mes côtes, mes seins écrasés contre son torse robuste. Et je sens ses lèvres goûter ma bouche dans un baiser prolongé qui s’agrafe à moi, m’emplit d’une douceur chaude, aspirant mon être tout entier, — et que je cherche à rendre de mon mieux…

Jean s’étonne en recevant cette réponse de mes lèvres maladroites : « On dirait que vous n’avez jamais embrassé, ma chérie… » Ah ! ça, que se figurait-il ?… Mais, s’interrompant, il éclate de rire, et le doigt tendu, montre quel-