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Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/69

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Ah ! folle, folle ! Tâche, au moins, de retrouver ta fierté.

— Vous avez raison, marraine. Vous verrez… J’ai pris de sérieuses résolutions. C’est la dernière étincelle… Maintenant, le feu est mort.

— Repose-toi, à présent. Tu vas coucher dans mon lit et rester ici jusqu’au retour de ton père. Je lui écrirai demain.

— Vous dites ? Mais je ne veux pas que vous préveniez papa !… Je ne pourrais le voir en ce moment.

— Tu oublies qu’il doit être fou d’inquiétude, ce pauvre malheureux Fripette !

— Accordez-moi quelques jours de répit… L’incompréhension de mon père m’exaspère… J’ai besoin de me calmer.

— Ma Nicole, ne sois pas méchante : si ton père, par son insouciance, est la cause première de ton mal, c’est inconsciemment. Il t’aime plus que tout. Toi, ne le fais pas souffrir volontairement : ta faute n’aurait pas d’excuse.

— Je suis incapable de raisonner. C’est malgré moi, mais je ne veux pas voir papa…

— Pourtant, je ne puis le laisser dans une telle incertitude. Ne pas savoir où tu te trouves, c’est atroce pour lui !

— Écoutez, marraine : vous connaissez mon caractère. Je vous jure que si vous écrivez à papa je quitte votre maison et je me cache si bien que vous ne me retrouverez pas…

— Allons, voyons, ne t’exalte point… Je n’écrirai rien. Maintenant, tiens-toi tranquille et va dormir.

J’affecte de la croire, quoique sa promesse me semble douteuse. Je me couche paisiblement, ferme les yeux… Eva me regarde longtemps ; puis rassurée, passe dans la pièce voisine, dont elle laisse la porte ouverte… Et, le reste de la nuit, j’entends le grincement d’une plume courant sur le papier.

Au matin, je me lève doucement… Eva, vaincue par la fatigue, s’est endormie les bras sur la table, la tête dans ses mains. Sa lettre à papa, terminée, s’étale devant elle, à côté de l’enveloppe où se trouve déjà l’adresse : « Monsieur Fripette, boulevard Dubouchage, Nice. » Je lis la lettre :

« Mon cher Fripette.

« Ta fille est chez moi ; elle a fait une fugue, quittant Nice, dont elle s’est lassée subitement. Ne te fais pas de chagrin ; ne t’inquiète pas ; je veille sur elle. Mais ne reviens pas tout de suite. Je t’expliquerai… Cette petite est très énervée : elle a besoin de ménagements… »

Je ne continue pas la lettre ; je la glisse dans mon corsage. Prenant une feuille de papier blanc que je plie en quatre je la mets dans l’enveloppe, dont je colle les bords soigneusement. Eva, en se réveillant, croira l’avoir cachetée avant de s’endormir : elle l’enverra telle quelle à papa, qui n’y comprendra rien… Ça me fera toujours gagner un peu de temps.




XVII

Voici quatre jours que je suis chez Eva Renaud. Celle-ci s’étonne visiblement du silence