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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/102

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dans ce monde nouveau une ignorance de débutant, une fraîcheur de sensations qui m’éblouirent de surprise. Je n’avais pas à me défendre contre cette conquête : pas d’ennemis, pas d’envieux, pour réveiller mes instincts combatifs et me faire entrevoir le danger. Je n’avais pas eu le temps encore de me blaser lorsque je connus Elisabeth Arnott… Elle éveilla en moi le désir de tout ce qui avait manqué à ma jeunesse : beauté, luxe, plaisirs, sourires… Cette brillante jeune fille, reine de mondanité, venait à moi, m’accueillait favorablement… Elle m’inspira un de ces amours de tête qui guettent, aux approches de la quarantaine, l’homme qui s’est fait lui-même et qui reçoit le prix de ses efforts de la main d’une femme enviée… Amour où la vanité, sans que nous le soupçonnions, joue le plus grand rôle… Amour qui enflamme un Napoléon pour une Marie-Louise. Peu à peu, au fur et à mesure que je m’habituais et que je me reprenais, j’eus du dégoût pour ce milieu frivole où mon temps se perdait ; la futilité de ma fiancée m’inquiétait : saurait-elle s’associer à ma vie intellectuelle ? Sorti du laboratoire, quels seraient les tête-à-tête de mon existence conjugale avec cette society girl capricieuse, flirteuse, fantasque ; accumulant visites, sorties, parties ; active comme un écureuil tournant à vide ? Chez nous, dans la classe riche, la vie de famille est réduite au minimum : les femmes s’occupent d’un côté, les maris travaillent de l’autre ; on se retrouve à l’heure d’aller dîner en ville. Moi, les souvenirs d’une jeunesse pénible et solitaire m’inspirent au contraire le désir d’un home, d’une intimité étroite. Le milieu où j’avais choisi ma fiancée n’était pas le mien : je m’en apercevais, — trop tard… Je me détachais, sans le vouloir, comme une tige mal greffée sur un arbre étranger.