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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/142

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mais, chose étrange, elle n’éprouvait pas diversion pour Laurence. Son premier pressentiment de l’inconstance masculine lui causait une souffrance intolérable ; cependant, cette souffrance même la désarmait, l’amollissait. Une solidarité innée rapproche sympathiquement les femmes en face de la trahison de l’homme. Surexcitée contre Warton, Bessie était animée d’une certaine pitié à l’égard de son innocente et malheureuse rivale. Cette sensation s’explique : une femme est toujours flattée qu’une autre s’éprenne de celui qu’elle a choisi ; ce qu’elle ne pardonne pas, c’est que cet amour soit payé de retour : c’est donc à l’homme que s’adresse son ressentiment.

Elle résolut de préciser ses doutes. L’occasion lui en était offerte par ce prétexte : la santé de Laurence. Elle se rendit à Neuilly.

On l’avait déjà introduite nombre de fois dans ce petit bureau où se tenait habituellement le chirurgien ; et, cependant, aujourd’hui, Bessie se sentait comme intimidée en y entrant, émue d’avance par l’épreuve qu’elle allait tenter. Puisque ses soupçons, en somme, n’étaient fondés que sur une intuition, pourquoi en chercher une preuve aussi pénible ? Pourquoi provoquer volontairement un événement qui se pouvait ajourner indéfiniment ? Mais Bessie n’hésita pas longtemps : sa nature courageuse et déterminée préférait l’affliction à l’incertitude.

Jack Warton, assis devant sa table, lisait et annotait des revues médicales ; à la vue de Bessie, il s’interrompit ; et la jeune fille, aux aguets, surprit sur son visage une fugace expression de contrariété qu’il réprima promptement pour dire le banal :

How d’ye do ?