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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/30

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cru bien faire.

— Mais naturellement, monsieur Philbert ! Laurence retint un haussement d’épaules. Nuance sensible entre ces deux pauvretés : le concierge, homme du peuple habitué aux petits calculs de l’indigence depuis sa naissance, savait qu’il faut compter, même devant la douleur. Laurence, malaisément pliée aux exigences de sa misère passagère, perdait la tête en face d’une catastrophe : songer au prix du taxi, quand sa mère était mourante peut-être !

Dieu ! Que le trajet lui sembla long jusqu’à la rue Vaneau ! Puérilement, de ses mains crispées sur les coussins, elle poussait en avant — comme dans l’illusion que la voiture avancerait plus vite.

Elle avait tenté de questionner le concierge :

— Monsieur Philbert, comment est maman ? Dans quel état ? Ce matin, elle n’allait pas plus mal !

Mais les réponses diffuses de Philbert l’avaient découragée. Comme tous les gens du peuple, il employait ce vocabulaire baroque aux comparaisons saugrenues pour parler de la maladie : le sang qui tourne en eau, les bêtes qui rongent les intestins… Excédée par ce verbiage inintelligible, Laurence se rencognait dans l’auto, exacerbée d’angoisse et d’impatience.

Enfin ! La rue Vaneau. Laurence s’élance dans l’escalier, grimpe quatre à quatre jusqu’à l’appartement, se précipita dans la chambre de la malade

— Maman !

(À suivre)JEANNE MARAIS

(illustrations de Suz, Sesouhé