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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/84

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Jeunes ou adultes, fins ou vulgaires, citadins ou paysans, quelle que fût leur origine, ils se ressemblaient tous par cette mâle santé rayonnante qui distingue l’homme des États-Unis, avive l’éclat de son teint, la lumière de ses yeux, lui donne le geste souple et la démarche léonine d’un bel animal vigoureux.

François se savait quelconque sous le rapport des avantages corporels : solide, musclé, un peu trapu mais bien pris dans sa petite taille de montagnard béarnais ; la tête un peu forte, le visage énergique sous ses cheveux noirs taillés en brosse, il plaisait en général aux hommes qui appréciaient la loyauté de ses yeux bruns, la finesse discrète de son sourire spirituel ; mais il passait inaperçu aux regards féminins, n’ayant point la prestance d’un héros de roman.

À cet instant, il détesta cordialement sa propre figure en se comparant à ces hommes qui portaient superbement la marque d’un sang neuf produit d’une heureuse fusion de tous les sanes de l’univers. Car Bessie exprimait une admiration très nationaliste en lui désignant ses compatriotes :

— Ce sont des splendides créatures, ne pensez-vous pas ?

François songea que ce Jack Warton qu’il ne connaissait point devait être une « splendide créature » aussi, taillée sur ce modèle unique. Il se l’imagina très grand, avec cette carnation rosée des races blondes…

Il répondit, l’œil assombri :

— Ils sont fort beaux, en effet.

Et il baissa la tête avec confusion : car la morsure aiguë de la jalousie primait passagèrement ses inquiétudes fraternelles et sa douleur filiale.

(À suivre.) JEANNE MARAIS.

(Illustrations de Suz, Sesboué).