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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/85

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XII

La marquise d’Hersac déclinait rapidement ; depuis deux jours, elle refusait toute nourriture. Laurence tendait toute sa vitalité dans cette lutte contre la mort. Voyant la malade s’affaiblir sans s’alimenter, elle était arrivée, patiemment, à lui faire absorber un litre de lait en l’espace de douze heures mortelles, cuillerée par cuillerée, avec des intervalles de plusieurs minutes ; car, dès qu’elle avait bu, Mme d’Hersac toussait d’une affreuse toux, s’étranglant, le visage violacé. Si doucement que sa fille glissât la cuiller entre les dents serrées, le liquide coulait sur le menton de la malade ; Laurence, terrifiée, s’apercevait que la déglutition ne s’opérait qu’avec difficulté : signe de la fin.

La jeune fille était glacée d’effroi. La certitude d’un prochain malheur l’imprégnait d’un épouvantable désespoir, celui qu’aucun n’égale : voir sa propre chair mourir dans un autre. Seuls, une mère qui perd son enfant, un enfant qui perd sa mère, ont touché le fond de la douleur humaine. Ô poètes ! qui déplorez le trépas d’une maîtresse… Qu’est-ce que la douleur des amants, quand on a vu mourir la chair de sa chair ?

Laurence était prise aux entrailles ; elle souffrait du mal de sa mère ; elle sentait que le cordon symbolique avait renoué son attache et qu’elle ne formait plus qu’un avec cette substance adorée et périssable qui se désagrégeait d’heure en heure.

— Mademoiselle… le docteur, annonçait la bonne.