Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/93

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— Respirez, dit le docteur.

La malade s’efforce de se dégager avec les contractions esquissées d’une faiblesse sans défense. Elle gémit :

— Assez… J’étouffe.

Sa voix plaintive torture Laurence, mais la jeune fille se contient à cette pensée : « Si je m’émeus, ils vont me renvoyer. »

À présent, la malade râle imperceptiblement ; les yeux sont vitreux, le visage figé dans le repos factice du sommeil artificiel. Le médecin la prend avec des précautions infinies, l’étend sur la table, attache ses jambes, ses bras. Laurence éprouve une émotion cruelle à voir ligoter si solidement cette frêle chose inerte.

Pieusement, Laurence frotte la brosse dure où mousse le savon de Marseille et lave la peau de ce pauvre ventre qui va s’ouvrir, livrant le secret de son mal ; sur la chair rougie, elle répand de l’eau de Cologne. Le corps purifié s’offre au sacrifice.

Voilà l’instant terrible. Pour se donner courage, Laurence regarde Warton : il a une étonnante expression de sérénité hautaine et paisible ; il est sûr de sa science ; sa main est ferme et ne tremblera pas ; son visage glabre reflète cette noble satisfaction du génie à l’œuvre, et ses yeux rêveurs de chercheur deviennent à cette seconde attentifs, lucides, impérieux.

La jeune fille se rassure : sa volonté domine encore une fois sa sensibilité meurtrie.

Warton a pris son bistouri. D’une prompte incision, il entame la peau. Du sang jaillit. Le docteur Martin l’éponge d’un tampon d’ouate.

Laurence serre les lèvres et regarde, horrifiée.