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Page:Marie Nizet - Le capitaine vampire.djvu/141

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vieux Mané. La bague était complétement oxydée ; une épaisse couche de rouille recouvrait la lame du poignard et sur le manche de corne on lisait encore le nom de son propriétaire : Mané Isacesco, grossièrement gravé.

— Hein ! fit Baba Sophia triomphante, ne vous avais-je pas dit que le diable était là-dedans !

Tout le village assistait au repas de noces qui fut admirablement ordonné, grâce aux talents culinaires de Baba Sophia, qui s’était surpassée.

La mère de Spérantza avait présidé à la toilette de Mariora, et celle-ci, qui raffolait des modes occidentales, avait remplacé la couronne de buis traditionnelle dont on pare en hiver le front des épousées valaques, par une magnifique guirlande de fleurs d’oranger qu’elle portait fièrement, comme elle avait le droit de le faire.

La petite Ralitza fit observer tout bas que les mariés n’avaient pas l’air joyeux.

— Tais-toi, méchante langue, lui dit une voisine, l’herbe n’a pas encore poussé sur la tombe du père et le frère est peut-être dans les bras de la fiancée du monde[1] !

Toutefois, l’observation de Ralitza ne manquait pas de justesse. Mariora s’obstinait à tenir les yeux baissés et répondait à peine aux plaisanteries de circonstance qu’on lui adressait de tous les bouts de la table. Ioan contemplait d’un œil morne le vin de Gréca qui remplissait son verre et, à travers la liqueur dorée, il voyait distinctement la face blême de Liatoukine étendu par terre et ayant un poignard fiché dans la poitrine.

— Eh bien ?… interrogea madame Isacesco quand les deux époux se trouvèrent enfin seuls.

  1. Expression roumaine ; signifie la mort.