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tre avait de jolis yeux… heu ! des yeux bleus ! Sont-ils sales, ces Polonais, sont-ils laids et mal élevés… hé ! Oh ! je les hais, je les maudis… hi ! L’autre…

— Tais-toi, Agapitza, dit une voix doucereuse sortie de la chambre voisine ; on prie pour les morts, on ne les insulte pas !

Agapitza, qui avait reconnu la voix de sa mère, s’empressa d’obéir et s’endormit en menaçant encore de son petit poing fermé le pauvre Brzemirski qui ne l’avait pas fait exprès, pourtant.

Domna Rosanda, assise près du lit de sa fille aînée disait : — Il a plus de deux millions de roubles.

Epistimia, accoudée sur son oreiller, fumait une cigarette et répétait d’un ton distrait :

— Millions de roubles ! en suivant des yeux la fumée qui formait comme un nuage au-dessus de sa tête brune.

Dans une chambre de l’étage inférieur, les quatre Russes veillaient le corps de leur camarade.

Le lendemain vers midi, tout Bucharest connaissait l’événement de la nuit. On commença par raconter la chose telle qu’elle s’était passée ; puis, on dit que le Polonais était un prétendant évincé qui, pour se venger, s’était suicidé sous les veux de l’insensible Epistimia. On finit par certifier que Brzemirski avait été assassiné par un colonel russe fiancé à la princesse. Cette dernière version, étant la plus émouvante, fut considérée comme la seule véritable.

Le Polonais, qui n’avait plus de famille, fut enterré, sans pompe, au cimetière catholique de la route Serban-Voda. On parla tous les jours un peu moins de sa fin tragique et les bonnes langues de Bucharest oublièrent bientôt jusqu’à son nom.