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Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/593

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Vos raisons, ma chère amie, lui dis-je, sont convaincantes ; elles me plaisent infiniment ; j’avoue même que l’espérance dont vous me flattez, d’oublier un jour de M. de Valville, pourrait m’obliger à cette démarche ; cependant je vous accorde que ce galant homme pourrait me rendre heureuse ; mais où trouverai-je une mère semblable à madame de Miran ? et que ferai-je de la tendresse excessive que j’ai pour elle ? Je l’entretiendrais, me direz-vous ; oh ! qu’il y aura de différence ! Son amitié me tient lieu de tout aujourd’hui ; peu à peu elle m’oubliera ; je n’aurai plus besoin de son secours, je ne la verrai que rarement ; cette idée seule, oui, cette idée seule, ma chère amie, me retiendrait, quand mon cœur ne serait pas aussi attaché à M. de Valville ; cependant elle est la maîtresse de mon sort, je terminerai cet hymen dès qu’elle me l’ordonnera ; mais laissons cette matière. Faites-moi le plaisir de finir vos aventures, et soyez persuadée que vos discours adouciront l’amertume des miennes.

Eh bien ! dit-elle, j’y consens ; mais promettez-moi que vous ferez vos efforts pour vous tranquilliser, et que vous serez toujours de mes amies, malgré l’élévation où je prévois que vous arriverez. À peine lui eus-je promis une amitié éternelle, qu’elle continua ainsi son histoire :

Ma chère fille, dit-elle, vos sentiments ont fait de vives impressions sur mon cœur ; je vous suis attachée pour toute ma vie par les liens d’une parfaite amitié ; et cette amitié ferait tout le bonheur de ma vie, si je pouvais espérer de vivre toujours avec vous ; vos aimables qualités me sont trop connues pour douter d’un parfait retour. Si je ne consultais donc que ma satisfaction, je louerais votre dessein, et je vous engagerais par mille façons à embrasser la vie religieuse ; mais ma tendresse m’oblige à vous prier de ne rien faire sans vous être longtemps consultée.

Vous avez de l’esprit, une pénétration vive ; écoutez avec attention ce qu’il me reste à vous dire ; profitez de mon exemple, et ne soyez pas comme moi la dupe de votre cœur.

J’ai été jeune, j’ai eu des grâces, j’ai aimé et j’ai cru être