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Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/224

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Le Prince.

Que voulez-vous donc que je devienne, belle Silvia ?

Silvia.

Oh ! ce que je veux ! j’attends qu’on me le dise ; j’en suis encore plus ignorante que vous. Voilà Arlequin qui m’aime ; voilà le prince qui demande mon cœur ; voilà vous qui mériteriez de l’avoir ; voilà des femmes qui m’injurient, et que je voudrais punir ; voilà que j’aurai un affront, si je n’épouse pas le Prince. Arlequin m’inquiète ; vous me donnez du souci, vous m’aimez trop ; je voudrais ne vous avoir jamais connu, et je suis bien malheureuse d’avoir tout ce tracas-là dans la tête.

Le Prince.

Vos discours me pénètrent, Silvia. Vous êtes trop touchée de ma douleur ; ma tendresse, toute grande qu’elle est, ne vaut pas le chagrin que vous avez de ne pouvoir m’aimer.

Silvia.

Je pourrais bien vous aimer ; cela ne serait pas difficile, si je voulais.

Le Prince.

Souffrez donc que je m’afflige, et ne m’empêchez pas de vous regretter toujours.

Silvia.

Je vous en avertis, je ne saurais supporter de vous voir si tendre ; il me semble que vous le fassiez exprès. Y a-t-il de la raison à cela ? Pardi ! j’aurai moins de mal à vous aimer tout à fait qu’à être comme je suis. Pour moi, je laisserai tout là ; voilà ce que vous gagnerez.