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Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/26

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tenez d’une chose qui m’ennuie ; vous me parlez toujours d’amour.

Le Berger.

Je vous parle de ce que je sens.

Silvia.

Oui ; mais je ne sens rien, moi.

Le Berger.

Voilà ce qui me désespère.

Silvia.

Ce n’est pas ma faute. Je sais bien que toutes nos bergères ont chacune un berger qui ne les quitte point, elles me disent qu’elles aiment, qu’elles soupirent ; elles y trouvent leur plaisir. Pour moi, je suis bien malheureuse : depuis que vous dites que vous soupirez pour moi, j’ai fait ce que j’ai pu pour soupirer aussi ; car j’aimerais autant qu’une autre à être bien aise. S’il y avait quelque secret pour cela, tenez, je vous rendrais heureux tout d’un coup ; car je suis naturellement bonne.

Le Berger.

Hélas ! pour de secret, je n’en sais point d’autre que celui de vous aimer moi-même.

Silvia.

Apparemment que ce secret-là ne vaut rien ; car je ne vous aime point encore, et j’en suis bien fâchée. Comment avez-vous fait pour m’aimer, vous ?

Le Berger.

Moi, je vous ai vue ; voilà tout.