Aller au contenu

Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien servi, et croisant fièrement ses bras sur sa poitrine, il s’écria :

— Fils de tes nobles aïeux, tu es le premier Mornac qui a jamais fui devant l’ennemi. Mais je veux que le diable m’emporte si tu n’as pas en ce moment les honneurs de la victoire !


CHAPITRE X.

où le chevalier robert du portail de mornac s’estima fort heureux d’échanger l’illustre nom de ses ancêtres contre celui de Castor-Pelé.

Toute la population du village entourait en criant l’échafaud sur lequel Mornac s’était réfugié et d’où il dominait, calme et superbe, cette mer de têtes hideuses qui ondulait à ses pieds.

— Pouah ! sont-ils laids ces bandits-là ! se disait le Gascon. Cela valait bien la peine de quitter la cour et les belles marquises de Paris, pour venir aussi loin terminer mes jours au milieu d’une si vilaine population ! Car il ne faut pas te faire d’illusion, mon petit Mornac, ces gens-là m’ont l’air fort mal disposé à ton égard, et je crois que tu vas bientôt passer un mauvais quart d’heure.

Les cris redoublaient à chaque seconde. C’était un concert infernal de vociférations.

— Allons ! le moment est venu, grommela Mornac. Il te faut mourir, mon vieux, mais mourir comme un soldat, au milieu de la mêlée. Ah ! mordious, si j’avais seulement mon épée, les belles estafilades et les grands coups d’estoc et de taille dont je pourfendrais ces marauds ! N’importe ! ajouta-t-il en reprenant le bâton dans sa main droite, je vais toujours bien, avec cette arme de manant, fêler encore quelques caboches… Et ma pauvre cousine ! Ah bah ! c’est la plus heureuse de nous trois. Elle va mourir de sa belle mort, car cette fièvre qui la dévore va certainement l’emporter.

En ce moment un Sauvage essayait de monter sur l’échafaud, en arrière de Mornac.

Celui-ci l’aperçut du coin de l’œil, se retourna et lui asséna un grand coup. L’Iroquois aurait eu le crâne fracassé, s’il n’eût penché la tête. Mais il n’en reçut pas moins le coup sur l’épaule droite. Ce qui le fit lâcher prise et retomber en beuglant.

Les Sauvages semblaient hésiter et Mornac se demandait s’ils n’allaient pas, de crainte de l’approcher, lui tirer à distance une flèche ou quelque arquebuse. Il se réjouissait déjà de mourir sans trop de souffrance, quand il sentit l’échafaud se dérober sous ses pieds. Il perdit l’équilibre et roula par terre.

Deux Sauvages s’étaient glissés sous la plate-forme et avaient abattu deux des quatre pieux sur lesquels elle reposait. Avant que le malheureux gentilhomme pût se relever il était entouré, maintenu à terre et garrotté.

L’échafaud fut relevé en un clin d’œil et Mornac hissé dessus. Tandis qu’on l’attachait à l’un des deux poteaux qui dominaient la plate-forme, on apporta Vilarme qu’on venait de retrouver blotti sous un ouigouam. Le misérable était tellement couvert de contusions que c’était grande pitié de le voir.

Lorsqu’on eut lié Vilarme à l’autre poteau, Griffe-d’Ours s’approcha de Mornac et lui dit :

— Mon frère est agile et brave.

— N’est-ce pas ? repartit Mornac. Et cet œil qui te sort de la tête en témoigne visiblement.

— Oui, reprit le chef. Mais nous allons voir si tu conserveras ta fierté dans les tourments. Tout à l’heure nos jeunes gens vont commencer à te caresser. Cela durera longtemps ; car ceux qui veulent t’éprouver sont nombreux. Ensuite, tu seras brûlé. Mais auparavant, comme c’est l’usage des guerriers, tu vas chanter ta chanson de mort.

— Au fait ! pourquoi pas ? dit Mornac. Autant vaut chanter que se lamenter inutilement.

Et d’une voix mâle il entonna cette chanson de bravache :

Je suis un cadet de Gascogne
Né d’un père très fortuné
Qui, sandis ! viveur sans vergogne,
Mourut bel et bien ruiné.

Il ne me laissa rien pour vivre
Qu’un donjon moussu que le vent
Ébranlait, tandis que le givre
Sur mon lit descendait souvent.

Mais j’avais du courage en l’âme
Et j’eus bientôt pris mon parti ;
Des aïeux décrochant la lame
Pour guerroyer je suis parti.

Je devins soldat d’aventure,
Marchant le jour sous le harnais
Ayant le ciel pour couverture
La nuit lorsque je m’endormais.

Or, par un beau jour de bataille,
Je m’en allai si loin, fauchant
À grands coups d’estoc et de taille,
Qu’officier fus fait sur le champ.

Plus tard, de simple volontaire,
Grâce à maints coups de bon aloi,
Je passai brillant mousquetaire
Pour veiller auprès de mon roi.

Le jour aux pieds des grandes dames,
J’étais vraiment fort glorieux
Car j’enflammais toutes leurs âmes
Du regard brûlant de mes yeux.

Cadédis ! au Louvre la Garde
Sait mêler le doux au devoir !
Souventes fois on se hasarde
À courir Paris vers le soir.

Longeant dans l’ombre la muraille
J’avisais quelque frais minois,
Et criais au manant : « Canaille,
Au large ! ou je te fends, bourgeois ! »

Après amoureuse aventure
Trouvant le cabaret fermé,
Je frappais sur la devanture
De ma dague le poing armé.

Dedans la taverne fumeuse