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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/63

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— Je croyais déjà à quelque bonne fortune…

— Je me doutais que vous alliez le dire, interrompit mademoiselle de Richecourt.

Mornac se mordit les lèvres.

— J’avoue, continua-t-il que ce fut ma première pensée. Mais la fin du billet me détrompa tout aussitôt.

« Il s’agit de l’honneur et de la vie, peut-être, de personnes qui vous sont chères. »

« Aussitôt que je fus libre, j’accourus à l’endroit indiqué. Quand je me fus nommé, on me conduisit auprès de la jeune femme qui m’avait remis le billet.

Je la trouvai au lit, exténuée. Elle avait l’air d’une personne mourante.

— Vous êtes bien Monsieur le chevalier du Portail de Mornac ? me dit-elle.

— Certainement, madame. Mais, moi, bien que j’aie déjà eu l’honneur de vous rencontrer quelque part, je ne me remets pas votre nom.

— Vous m’avez vue deux fois au château de Kergalec : la première lors des funérailles de la comtesse de Richecourt, et la seconde quand vous avez passé quelques jours au manoir, après le duel de M. le comte avec le baron de Vilarme. J’étais la camériste de madame, dont Dieu veuille avoir l’âme en sa sainte garde.

— Auriez-vous des nouvelles du comte et de sa fille ? demandai-je vivement.

— Non, hélas ! Je vous ai fait venir, Monsieur, afin de vous faire les confidences les plus étranges, et les plus effrayantes révélations auxquelles vous puissiez vous attendre.

« Après s’être recueillie, elle me raconta la sombre histoire que vous savez, et me dit en terminant :

« Les poignantes émotions par lesquelles je passai pendant la nuit du meurtre, la responsabilité du terrible secret que j’avais à garder, les malheurs dont je fus ensuite témoin, le duel du comte avec Vilarme et dont j’appris la cause, l’exil de mon malheureux maître et de sa fille, ont miné ma santé. En moins d’une année, j’ai vu ma vie s’en aller graduellement. Me voyant condamnée, n’ayant plus à craindre que Dieu devant qui je vais bientôt paraître, j’ai résolu de faire ces révélations avant que de mourir ; et comme vous êtes le seul proche parent que je connaisse à la famille de Richecourt, j’ai voulu vous rendre le dépositaire du secret qui rend toute une famille malheureuse. Seulement, comme je n’ai que peu de jours à vivre, je vous prie de ne point divulguer à personne, avant ma mort, (à moins que des raisons graves ne vous y contraignent) les confidences que je viens de vous faire. Quand je ne serai plus, ajouta-t-elle en tirant un papier de dessous son oreiller, voici qui témoignera partout de la culpabilité de Vilarme. Tout le récit du meurtre est écrit et signé de ma propre main.

« Je revis cette femme encore une fois avant sa mort qui arriva six mois après.

— Et ce témoignage écrit, l’avez-vous encore ? demanda Jeanne avec anxiété.

— Il ne m’a jamais quitté jusqu’à mon arrivée au Canada où je suis venu et pour refaire une carrière brisée là-bas par la perte totale d’une fortune qui n’a jamais été bien considérable, et pour tâcher de vous retrouver M. le comte et vous. Car la camériste, avant de mourir, m’avait laissé à entendre qu’elle vous croyait émigrés en Amérique et spécialement au Canada. Je voulais vous emporter ce document à la Pointe-à-Lacaille ; mais je l’oubliai dans ma valise, à l’auberge du Baril-d’Or, à Québec. Ça a été fort heureux, car si je l’avais eu sur moi, ces maudits Sauvages me l’auraient enlevé. »

Ici Mornac fut interrompu par un grand cri suivi de coups et d’imprécations qui s’élevèrent à la porte de la cabane.

Il sortit et reconnut Vilarme aux prises avec la Corneille, et put se convaincre que celle-ci avait surpris son époux écoutant à la porte du ouigouam, et qu’elle était tombée sur lui à l’improviste.

Quand elle eut entraîné Vilarme sous le domicile conjugal qui retentit quelque temps au loin de coups et de hurlements, Mornac retourna auprès de sa cousine et lui dit :

— Vous aviez raison, Vilarme nous écoutait. J’ai besoin de me tenir sur mes gardes.

— Mon Dieu, chevalier, j’ai une horrible peur de cet assassin, et je vous supplie de ne point me laisser seule ici avec cette jeune femme. Que ferions-nous toutes deux, si ce monstre allait échapper à la surveillance de la Corneille et se glisser jusqu’à nous ?…

— Écoutez, je m’en vais aller chercher des peaux dans la cabane de ma mère adoptive, les unes pour me servir de lit, les autres afin d’élever entre nous une espèce de cloison qui nous fera à chacun une chambre séparée. Jusqu’au retour de Griffe-d’Ours je coucherai toutes les nuits en travers de la porte du ouigouam. De sorte que celui qui voudra entrer devra me passer sur le corps.

— Merci, fit Jeanne. Maintenant je vais vous demander un sacrifice. Si vous me trouvez trop exigeante, dites-le moi sans ambages, et j’agirai seule. Vous concevez que, placée entre le chef iroquois et le meurtrier de ma mère, je n’ai plus de recours qu’en la fuite la plus prompte et de soutien qu’en vous. Consentirez-vous, aussitôt que les forces me seront rendues, à vous enfuir avec moi ?

— Or ça ! mais vous croyez donc que je m’amuse bien ici, moi ? Mais, ma chère Jeanne, je suis à jamais votre esclave. Seulement, il va falloir attendre quelques jours, car vous ne sauriez aller loin dans l’état de faiblesse où vous êtes encore.

— Laissez-moi faire, dit mademoiselle de Richecourt d’un air déterminé. Dès demain je me lèverai pour commencer, avec modération, à me préparer à de plus grandes fatigues. Oh ! ne craignez rien, je ne ferai point d’imprudence. Entre nous, sachez que j’aurais pu me lever depuis plusieurs jours. Mais vous comprenez que je n’étais pas pressée d’afficher ma guérison aux yeux du chef des Iroquois.

Une heure après, tous deux, séparés plus encore par le respect du gentilhomme que par la cloison fragile qu’il avait élevée entre eux, s’endormaient, Jeanne pleine d’espérance et Mornac grommelant tout bas.

— Elle m’a défendu de provoquer Vilarme et j’ai promis de lui obéir. Mais le cas où lui me