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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/64

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provoquerait n’a pas été prévu. C’est cela, il m’insultera demain et je le tuerai ensuite. De la sorte Jeanne n’aura rien à dire.

Sur cette résolution, que nous ne pouvons certes point désapprouver, le chevalier fit mine de pousser un coup de pointe, son bras engourdi ne se leva qu’avec peine et retomba pour rester immobile près de sa tête ensommeillée.


CHAPITRE XIII.

le duel.

Le lendemain matin, lorsque le chevalier de Mornac ouvrit les yeux, il aperçut la figure menaçante du baron de Vilarme qui le regardait par la portière entrouverte du ouigouam de la Perdrix-Blanche.

Le bruit qu’avait fait Vilarme en s’approchant avait réveillé le jeune homme.

Mornac se leva, sortit de la cabane et dit au baron :

— Vous vouliez m’étrangler ?

— Insolent ! Il faut que l’un de nous deux meure !

— Je n’y ai point d’objection, pourvu que ce ne soit pas moi.

— Oh ! c’en est trop ! cria Vilarme.

— Doucement, monsieur ; plus bas, s’il vous plaît ! N’allez pas réveiller celle qui a autant besoin de sommeil que d’oubli. Allons causer un peu plus loin.

Vilarme suivit Mornac qui s’arrêta au milieu du village.

En se retournant vers le baron, le chevalier vit que celui-ci levait un long couteau de chasse, dont il allait le poignarder par derrière.

— Toujours chevaleresque, ce cher baron ! dit Mornac qui saisit le poignet de Vilarme et lui tordit si violemment le bras que le couteau lui échappa et tomba par terre. — Vous disiez donc ?

— Damnation ! rugit Vilarme.

— Vous êtes bien laid, fait ainsi, dit Mornac en mettant son pied sur le poignard. Et je ne m’étonne pas que vous ayez toujours eu peu de succès auprès des femmes ! Madame votre mère vous ressemblait-elle ? Ce devait être, en ce cas, une fort aimable personne, et Monsieur votre père a dû filer d’heureux jours à ses côtés.

Vilarme était tellement en colère qu’il ne pouvait plus parler. Sa bouche écumait et des sifflements rauques grondaient dans sa gorge.

— J’étouffe ! cria-t-il enfin.

— Tiens ! mais savez-vous que ce genre de mort vous conviendrait à merveille en votre qualité d’étouffeur !

— De par le diable, Monsieur, finissons-en !

— Volontiers, mais de quelle manière ? je vous préviens qu’il n’y a jamais eu de bourreau ni de pendu dans ma famille, de sorte que j’aurais la plus grande répugnance à vous enserrer le col de la corde que vous avez des mieux méritée.

Vilarme voulut s’élancer pour frapper Mornac au visage. Mais celui-ci qui le tenait toujours par le bras, le maintint à distance en lui disant :

— Jamais votre main d’assassin ne touchera ma figure ! Entendez-vous ? Maintenant, que voulez-vous ?

— Que nous nous battions, de par Satan !

— À coups de couteau, de tomahawk ou de flèches ?

— Ah ! finissez vos absurdes plaisanteries, dit Vilarme hors de lui, ou je croirai que vous êtes un lâche, et que vous voulez éluder le combat !

Mornac le regarda avec un sourire méprisant.

— Lorsqu’il arrive quelquefois, dit-il, qu’un brave gentilhomme reçoit cette insulte d’un manant, il ne la relève point et laisse à ses valets le soin de châtier le rustre à coups de bâton. Que vous ferai-je donc à vous, meurtrier qui me voulez salir de votre bave ? Si nous étions en pays civilisé je vous livrerais au bourreau, et j’aurais le plaisir de voir comment vous sauriez supporter le supplice de la roue ? Mais ici, que faire ?… Comme il est dangereux que vous viviez plus longtemps, je daigne me souvenir que vos pères furent gentilshommes, et veux bien consentir à purger la terre du dernier des Vilarme. Écoutez ! continua Mornac en contenant toujours le baron furieux qui tournait autour de lui comme un loup enchaîné, je sais où sont nos épées. Deux des Sauvages qui nous ont pris les ont accrochées, en guise de trophée, au poteau de leur cabane. Il s’agit de les avoir. Venez avec moi. Seulement, avant de nous battre, laissez-moi vous dire qu’il va falloir user de ruse. Comme nos gardiens n’aimeraient peut-être pas nous voir nous couper la gorge tout de bon, nous feindrons une simple passe-d’armes, un assaut courtois, ce dont je sais comment les prévenir. Quelques jeunes gens m’ont demandé l’autre jour de leur montrer à se servir de l’arme blanche. Nous allons leur donner à l’instant le spectacle d’une joute qui sera fort de leur goût. Laissez-moi faire. Seulement, s’il vous plaît, rengainez ce cure-dents.

Vilarme subjugué, ramassa l’arme que Mornac lui poussait du pied, la remit dans sa gaine et suivit le chevalier.

L’heure était assez avancée pour que les Sauvages fussent levés et hors de leurs cabanes.

Mornac alla droit à un groupe de jeunes gens qui s’exerçaient au saut et à la course pour se détirer les membres et se réchauffer sous l’air piquant du matin.

En quelques gestes, Mornac leur indiqua que, si on leur prêtait des épées à Vilarme et à lui-même, tous les deux donneraient à l’instant aux spectateurs une idée de la manière de s’en servir.

La jeunesse d’Agnier comprit, poussa des cris de joie et courut aux cabanes où les épées étaient suspendues.

— Maintenant, dit le chevalier au baron, veillez sur l’expression de votre physionomie. Quittez un peu cet air farouche pour une mine plus riante. Bien, comme cela. Mordious ! baron, vous avez bien le sourire le plus faux dont le diable ait jamais orné la bouche d’un homme. Ah çà ! n’allons pas nous fâcher